Article issu de la version imprimée disponible ici. Nous partageons ici une version de l’article corrigée dans lequel la mention de « l’impérialisme iranien » a été remplacée par « expansionnisme iranien ». En effet, l’Iran, qui est une puissance régionale au Moyen-Orient, ne peut pas être confondu avec un pays impérialiste comme les États-Unis, qui ont envahi l’Irak à deux reprises dans les 30 dernières années. Nous présentons donc cette correction à notre publication papier.
Le chaos provoqué par l’invasion américaine de l’Irak en 2003 a provoqué plusieurs guerres civiles et une détérioration générale des conditions de vie des Irakiens. Le pays connaît aujourd’hui une domination par les États-Unis et une pénétration de l’Iran. La corruption des institutions irakiennes ainsi que la forte détérioration de l’économie (un taux de chômage atteignant 40 % chez les moins de 25 ans) ont fait monter le mécontentement au sein de la population qui réclame aujourd’hui une nation réellement indépendante.
Différentes vagues de manifestations nationales ont eu lieu depuis 2015, portant des revendications similaires : réformes de l’économie et des services publics, hausse des salaires, lutte contre le chômage et la corruption et expulsion des troupes iraniennes pré-sentes en Irak. Les revendications sont progressive-ment devenues plus radicales : une nouvelle vague de manifestations en octobre 2019 a fait descendre une partie de la population dans les rues afin de réclamer un changement de gouvernement et de constitution. Le mouvement a été violemment réprimé par les forces de l’ordre qui n’ont pas hésité à tirer à balles réelles sur les manifestant.e.s, faisant 149 victimes en moins d’une semaine. Certain.e.s manifestant.e.s accuseront alors les milices pro-iraniennes d’être particulièrement impliquées dans cette violente répression.
Face à l’ampleur sans précédent des manifestations, le gouvernement de l’époque a annoncé différentes mesures sociales (construction de 100 000 logements, allocations pour jeunes chômeurs…) ainsi que la destitution de plusieurs commandants militaires impliqués dans la répression. Ces mesures ne suffiront pas à arrêter le mouvement qui reprendra rapidement en assumant cette fois une tournure plus nationaliste : la lutte pour les réformes laisse place à la lutte contre la domination de l’Iran sur le pays. Cette nouvelle vague de manifestations a été le théâtre d’actions de plus grande ampleur : grève générale, incendies de sièges de gouvernorat et d’un consulat iranien, attaque de QG de partis politiques et de milices armées… La dé-mission du Premier ministre en novembre n’a pas suffi à arrêter le mouvement populaire qui a maintenu son développement dans de nombreuses villes du pays, et cela malgré une répression qui fera encore de nombreux morts.
Dans un contexte de tensions entre l’Iran et les États-Unis (ces derniers ayant provoqué des bombardements en Irak), le mouvement assume à partir de janvier des revendications anti-impérialistes contre les États-Unis et contre l’influence expansionniste de l’Iran. Cette ligne nationaliste rappelle celle que porte le mouvement sadriste, un mouvement nationaliste irakien dirigé par Moqtada al-Sadr qui revendique l’indépendance totale de l’Irak face à l’impérialisme étasunien et l’expansionnisme iranien. Appartenant aux principales forces politiques du pays depuis 2018, ce mouvement a soutenu le mouvement de contestation dès sa première vague en y investissant ses milices armées (les « Brigades de la paix »).
Durant les mois de contestations, le mouvement sadriste a vu son influence au sein du gouvernement s’accroître grâce à l’affaiblissement des forces politiques rivales au pouvoir. Le mouvement s’est emparé de nombreux postes importants au sein de l’État irakien, ce qui lui a permis d’avoir une influence majeure sur certaines décisions du gouvernement. Parmi ces décisions, une réforme du système électoral favorisant les partis soutenus par les classes populaires. Cela pourrait bien accélérer l’ascension des sadristes qui sont maintenant sûrs de pouvoir atteindre le poste de Premier ministre aux prochaines élections en octobre. Dans ce contexte d’ascension, et malgré les revendications anti-impérialistes du mouvement populaire, les sadristes ont finalement retiré leur soutien à la contestation en janvier 2020. Ils ont depuis participé à la ré-pression en utilisant leurs brigades armées contre les manifestant.e.s, faisant 8 morts en février.
Le mouvement populaire de contestation qui a lieu en Irak depuis 2019 est le résultat de plus d’une décennie de domination du pays par des puissances étrangères, principalement les États-Unis. Le peuple irakien l’a très bien compris et réclame aujourd’hui, plus que de simples réformes, une réelle indépendance face aux États-Unis et à son voisin iranien. La trahison du mouvement nationaliste sadriste envers la contestation qui a favorisé sa montée en puissance est la preuve que les luttes anti-impérialistes pour l’indépendance nationale doivent être portées par des organisations réellement populaires, dirigées par et pour les travailleurs et travailleuses exploités. Partout dans le monde, de telles organisations émergent et sauront bientôt mettre un terme à la domination des pays impérialistes sur les nations opprimées.