Depuis ce lundi 9 août, de puissants incendies ravagent le Nord de l’Algérie, plus particulièrement la région de la Kabylie, dénombrant à ce jour 69 morts confirmées, des centaines de blessés graves ; ainsi que plusieurs personnes portées disparues.
Cent trois incendies sont actuellement enregistrés à travers 18 wilayas1 du pays, a indiqué mardi à l’APS (Algérie Press Service) le directeur général des forêts, Ali Mahmoudi. Parmi lesquels : Tizi Ouzou d’où la plupart des foyers ont été déclenchés et qui est une des villes les plus peuplées de la région. Ainsi que Béjaïa, El-Tarf, Jijel, Skikda, Annaba, Guelma, Blida, Boumerdès, Médéa, Souk Ahras, Bouira, Ain Defla, Khenchela, Oum El-Bouaghi, Sétif, Tiaret, Blida et Tébessa aux dernières nouvelles. Soixante-neuf foyers étaient encore actifs mercredi soir. Selon M. Beldjoud, le ministre de l’intérieur : « Cinquante départs de feu en même temps, c’est impossible. Ces incendies sont d’origine criminelle « 2
Si les incendies qui se multiplient à travers le globe sont associés à divers phénomènes anticipés par les scientifiques en raison du réchauffement climatique que nous devons à l’extension du capitalisme sur toute la Terre et à l’exploitation des grandes puissances impérialistes, parmi lesquelles la France ; il ne s’agit ici que d’éléments aggravant mis, par des criminels, au service du projet odieux d’attaque sur la Kabylie. En effet, la nature volontaire et préméditée de ces déclenchements d’incendies ne fait aucun doute, que ce soit au sein du peuple algérien ou du corps politique national. La radio publique algérienne a annoncé mardi dernier l’arrestation de trois « pyromanes » dans la ville de Médéa, où un incendie s’est aussi déclaré. Un quatrième a été arrêté à Annaba, selon l’APS.
Pourtant, il est inutile d’attendre les comptes rendus des auditions des suspects pour identifier le réel coupable indéniable de cette catastrophe, qui n’est autre que l’État bourgeois algérien lui-même. Car le phénomène incendiaire ici porté à des proportions gravissimes est une triste routine annuelle pour l’Algérie, pays le plus étendu d’Afrique qui ne compte pourtant que 4,1 millions d’hectares de forêts, avec un maigre taux de reboisement de 1,76%. Or, chaque année, le pays est touché par des feux de forêt, en particulier le territoire de la Kabylie où les conditions météorologiques sont arides. En 2020, près de 44.000 hectares de taillis ont disparu en fumée. Plus de 1 200 départs de feux ont été recensés en juin et juillet de cette année dernière. En plus de cet historique, les conditions caniculaires prévoyant une forte raréfaction de l’eau et des températures autour des 46°C ont été parfaitement communiquées par les services météorologiques du pays. Qu’est-ce que le gouvernement d’Abdelmadjid Tebboune a alors mis en place pour se préparer à protéger sa population ? Littéralement : rien. Et pour cause, un État capitaliste bureaucratique comme l’Algérie a vocation a générer inlassablement toujours plus de profit pour enrichir les impérialistes et la bourgeoisie locale qui s’engraissent sur le dos des masses. En aucun cas cet État n’aspire à protéger sa population ; encore moins quand il s’agit de montagnards. L’année dernière, les autorités avaient également annoncé avoir arrêté plusieurs « pyromanes », et lors d’un Conseil des ministres tenu le 25 juillet, le président Tebboune a ordonné l’élaboration d’un projet de loi punissant sévèrement les auteurs d’incendies criminels de forêts, avec des peines allant jusqu’à 30 ans de prison ferme, voire la perpétuité si l’incendie a causé la mort d’individus. Voici la réponse donnée aux famille sinistrées et endeuillées, dépouillées de leurs seules sources de subsistance que sont le bétail et l’agriculture que les flammes emportent sans distinction. Heureux propriétaires de pas moins de 150 chasseurs bombardiers, l’Algérie ne possède aucun Canadair (avion bombardier d’eau), alors même que le pays brûle chaque année. Un seul de ces avions de guerre coûte entre 68 et 78 millions d’euros, contre environ 25 millions pour un Canadair. L’armée de l’air algérienne est pourtant composée d’appareils très chers venus de Russie, des États-Unis ou de France et qui enrichissent l’industrie de l’armement de ces pays. Les habitants des zones sinistrées témoignent d’ailleurs : « Aucun moyen n’est mis dans la prévention et le ramassage des ordures dans nos montagnes. »
En somme, à tous les niveaux : le régime politique en place s’illustre dans sa tentative d’empoisonnement de l’union populaire indéniable des algériens, en orchestrant la mise à mort de la Kabylie pour ensuite prétendre à des tensions séparatistes entre berbères et arabes dans les médias. Les masses algériennes, unies et vaillantes, ne font, depuis le début des incendies, que démontrer leur indifférence envers ces considérations politiques racistes qui instrumentalisent depuis des années la pluralités culturelle du pays pour tenter de diviser un peuple qui brille pourtant par son sens de la solidarité. Il ne s’agit pas ici de l’importance de la question Amazigh en général, ni de son caractère social dans certains pays et dans une certaine mesure. Cependant, sur le sujet de la crise actuelle dont il est question, force est de constater que le peuple algérien tout entier est le seul héros de cette tragédie encore en cours.
Nous laissons ici la parole à Mehdi, algérien de 31 ans originaire de Tadmaït à Tizi Ouzou qui s’exprime depuis l’Algérie sur la question : [NDLR répondant ici à la question « Voudriez-vous témoigner de ce qui se passe sur place actuellement, car en dehors de la mobilisation des pompiers on ne voit que des appels à la solidarité populaire entre civils, des appels à l’aide relayés via les réseaux etc. ; que se passe-t-il sur place ? »] « Vous avez la réponse dans votre question. Des pompiers et la protection civile sont sur place avec très peu de moyens, et la mobilisation est faible en vue de la situation chaotique. L’État est totalement absent. […] Tout ça est dû avant tout à un manque de considération, au racisme d’État. La Kabylie est une région qui a toujours fait peur au gouvernement, l’affaiblir a toujours été un idéal pour ces corrompus. […] Il faut toujours attendre que les familles subissent, que nous enterrons nos enfants, pour que certains commencent à se bouger. Qu’un pays aussi riche que l’Algérie ne possède ni Canadair, ni aucun matériel adéquat pour ces feux de forêt à répétition est incroyable ! Leurs canons à eau ne servent qu’à mouiller et repousser la population lors des manifestations pacifiques. […] Ce qui se dit dans les rues sur place ? La même chose depuis toujours ! Chaque année la Kabylie subit des départs de feux criminels ! Tout le monde sait que l’État est derrière. » [NDLR AU sujet des 25 pompiers algériens décédés en secourant les victimes] « Paix à leurs âmes, c’est surtout à cause de l’État qui envoie ses soldats au front sans matériel, sans protection, sans formation. […] Politiquement, beaucoup cherchent à désunir le peuple. Dieu merci, sur le terrain le peuple est plus intelligent ! Tout le monde s’entraide, au départ d’Alger, d’Oran, des Aures et bientôt partout ailleurs. […] Nous comprenons qu’il y a des accords politiques etc, mais parfois il y a des situations d’urgence, il ne faut pas attendre plus de 65 morts… Des centaines de familles sans hébergement, des milliers de villageois se retrouvant sans revenu puisqu’ils vivent de leurs bêtes, etc. Pour agir ! C’est toujours sur la fin d’une catastrophe qu’ils se bougent ! […] Le Hirak reprendra de plus belle pour montrer le mécontentement de tous, et surtout pour dénoncer l’incompétence du gouvernement illégitime. Quoiqu’il cherche à faire, nous serons tous algériens, berbères, et fiers ! Et rien ne pourra nous désunir ! Il est important de rester solidaires et surtout de souligner une fois de plus l’exemplarité du peuple ! »3
1Division administrative d’Algérie
2Ministre algérien de l’Intérieur, des Collectivités locales et de l’Aménagement du territoire
3Témoignage recueilli par l’autrice de l’article le 11 août 2021.