Le 15 septembre 2021, l’alliance impérialiste anglo-américaine s’est renforcée avec l’annonce du pacte de défense AUKUS. Le Royaume-Uni et l’Australie ont signé le pacte avec la première superpuissance impérialiste mondiale, les États-Unis, afin de renforcer leurs propres situations internationales. Pour les impérialistes français, le pacte révèle une grande trahison par l’Australie et ses partenaires anglo-américains. Les ambitions impérialistes françaises ont été déjouées au profit du déploiement stratégique de la machine de guerre yankee dans les eaux entourant la Chine.
En 2016, le premier ministre australien avait signé un contrat avec le Naval Group, appartenant à l’État français, de 31 milliards d’euros. Depuis lors, le prix du contrat pour douze sous-marins à propulsion diesel-électrique avait gonflé pour atteindre 56 milliards d’euros, avant que l’Australie ne se retire soudainement du contrat sans consulter la France, et avec des milliards déjà investis dans de nombreux projets préparatoires. Selon les termes d’AUKUS, l’Australie va se procurer des sous-marins à propulsion nucléaire avec l’aide des États-Unis et du Royaume-Uni. L’Australie nie l’accusation française de trahison en objectant un besoin en sous-marins nucléaires, contrairement à ce qu’elle prétendait en 2016. Si l’on tient compte de la logique impérialiste australienne, cet argument n’est pas faux. La politique que mène l’Australie vis-à-vis de la Chine, et vice versa, est devenue de plus en plus hostile ces dernières années. En 2008, le premier ministre du moment, Kevin Rudd, avait retiré l’Australie du Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (QUAD), afin d’apaiser les tensions avec son principal partenaire commercial, la Chine. Le QUAD réunit les États-Unis, le Japon, l’Inde et l’Australie dans une coopération diplomatique et militaire stratégique servant à encercler la Chine. Sous le président Trump et dans le contexte de sa guerre tarifaire contre la Chine, les tensions avec la Chine se sont intensifiées et l’Australie s’est rangée du côté des États-Unis. En 2017, l’Australie a ainsi participé à la résurrection du QUAD. Actuellement, la Royal Australian Navy ne possède que six sous-marins à propulsion diesel-électrique de la classe Collins australienne. Cependant, la flotte de la Marine chinoise inclut onze sous-marins à propulsion nucléaire, en plus de 55 à propulsion diesel-électrique, et elle continue à lentement enrichir sa flotte de sous-marins nucléaires. Les sous-marins nucléaires sont plus rapides et ont une portée plus grande. Passer inaperçu est le principal avantage des sous-marins et un réacteur nucléaire permet à un sous-marin de rester caché sous l’eau pendant des mois. Les impérialistes australiens ont tout intérêt à s’armer avec cette technologie puissante, qui leur permet également d’être un allié encore plus indispensable dans la campagne étasunienne contre le social-impérialisme chinois croissant. La centralité de l’Australie dans la vision stratégique de l’impérialisme étasunien est démontrée par la présence du Royaume-Uni dans AUKUS et le QUAD, renforçant le lien entre les membres du QUAD en Asie et le Royaume-Uni. L’impérialisme australien est soutenu par l’exploitation économique de ses voisins maritimes, donc il ne peut pas se permettre de perdre son importance régionale face à l’expansion du social-impérialisme chinois. Dans cette perspective, la superpuissance impérialiste étasunienne est un allié beaucoup plus utile que l’impérialisme français.
AUKUS représente également un gain important pour le Royaume-Uni post-Brexit. La campagne de réorientation économique de « Global Britain » repose sur un rapprochement avec les États-Unis, nécessaire pour une implantation plus profonde de l’impérialisme britannique en Asie. Au cours des dernières décennies, l’Asie de l’Est et du Sud-Est ont connu une croissance économique parmi les plus rapides et les plus rentables pour les investissements étrangers. La Chine est toujours très loin d’être hégémonique dans cette région. Comme pour les monopoles australiens, la domination chinoise de la région rendrait la concurrence plus difficile pour les monopoles de son pays. Pour l’impérialisme britannique, AUKUS est un moyen de souder des liens militaires en Asie pacifique pour satisfaire ces ambitions économiques dans la région.
Le seul aspect positif de cette nouvelle escalade vers une Troisième Guerre mondiale contre la Chine est d’assister à la rage et à l’impuissance des impérialistes français. AUKUS est une menace pour la vision stratégique des impérialistes français et a montré une fois de plus qu’ils ne sont que des tigres en papier. Dans la lutte entre les impérialismes étasuniens et chinois en Asie-Pacifique, la France espère être une troisième option pour les pays de la région. Dans le bassin Indo-Pacifique, la France dispose de 7 000 personnels de défense, de 15 navires de guerre et de 38 avions stationnés en permanence. Début avril 2021, les pays du QUAD ont participé à l’exercice naval français La Pérouse dans le golfe du Bengale. La France espère renforcer sa puissance impérialiste en approfondissant ses liens avec des pays comme l’Australie. Pourtant, l’Australie s’est tournée vers les États-Unis tandis que la France a été exclue d’AUKUS. Tous les représentants politiques bourgeois en France, de la droite à la gauche, crient à la trahison des « anglophones » à l’unisson. Ils dépeignent la décision de l’Australie comme un complot contre la France, résultant d’un favoritisme entre les nations anglophones, comme si l’aspect culturel était plus important que les implications pratiques de la décision. La propagande française, soucieuse d’entretenir l’illusion chauvine de la grandeur de la France, omet de mentionner un facteur explicatif évident du retrait, à savoir que les États-Unis sont un allié infiniment plus utile pour l’Australie. La réaction de la France trahit l’impuissance de l’impérialisme français, avec le rappel des ambassadeurs français aux États-Unis et en Australie, l’annulation d’un sommet sur la défense avec le Royaume-Uni et beaucoup de paroles creuses en faveur d’une politique étrangère et d’une stratégie de « défense » européenne indépendante. A l’approche des élections présidentielles, les représentants de tous les partis majeurs appellent même au désengagement de la France de l’OTAN. Le contrat australien représentait une étape importante dans la stratégie développée par la France pour l’Asie-Pacifique. Cela écarté, l’impérialisme français doit regarder ailleurs.
En pratique, la bourgeoisie française ne peut que menacer de façon spéculative les États-Unis d’un retrait de l’OTAN, afin de former une alliance militaire européenne. Néanmoins, les Yankees auraient conscience que ces mots ne peuvent être suivis d’effets. La première puissance de l’Union européenne (corps administratif de l’alliance impérialiste européenne) est l’Allemagne, or les impérialistes allemands ne souhaitent pas secouer davantage les contradictions interimpérialistes et risquer des sanctions limitant la capacité commerciale du pays. Cela a été mis en évidence lors de la dernière visite de la chancelière allemande, Angela Merkel, aux États-Unis en juillet 2021. Merkel et le président Biden ont exprimé leur empressement à travailler de nouveau ensemble, et ce dernier a même levé les sanctions de l’ère Trump contre les entités allemandes impliquées dans le gazoduc russe vers l’Allemagne, Nord Stream 2. Toutefois, Merkel a soigneusement évité d’adopter une position anti-chinoise agressive, ce qu’auraient souhaité les États-Unis. Pourtant, la bourgeoisie française pourrait tenter d’exploiter la situation politique en Allemagne et à Bruxelles pour réaliser son fantasme gaulliste d’une Europe unie et armée sous la direction de la France. Dû aux résultats fractionnés des élections fédérales allemandes le 26 septembre 2021, il n’y aura pas de nouveau gouvernement jusqu’à la formation d’une coalition délicate, qui prendra probablement des mois à se former. Qui plus est, entre janvier 2022 et juin 2023, la France partagera la présidence du Conseil de l’Union européenne avec la Suède et la Tchéquie. En occupant ce rôle, la France pourrait tenter d’orienter l’élaboration de politiques européennes servant ses intérêts, en profitant de ce que l’Allemagne serait toujours dépourvue de nouveau gouvernement. Cela met également en évidence le problème central de l’alliance européenne : même si l’Allemagne est la force suprême de l’UE, il y a trop d’égalité entre les pays membres pour consolider une alliance plus stable comme celle des États-Unis. Pour les impérialistes, la force fait le droit. Pendant que la superpuissance étasunienne a une suprématie claire sur ses alliés et ses alliés dépendent de sa suprématie, l’alliance impérialiste européenne fonctionne comme un processus constant d’intrigues et de luttes intestines.
La réalisation d’AUKUS n’est qu’une continuation du plan impérialiste mis en œuvre sous le président Obama et intensifié sous le président Trump. Pour devenir un proche allié des États-Unis aujourd’hui, il faut s’opposer drastiquement à la Chine, ce qui n’est pas forcement avantageux pour les impérialistes d’Europe. Alors que les États-Unis développent leurs capacités stratégiques avec leurs alliés les plus actifs en vue d’une future guerre contre la Chine, les impérialistes européens sont laissés pour compte, sans stratégie commune. Cela traduit la grande faiblesse des divers impérialistes européens et réaffirme le statut de superpuissance des États-Unis. Pour le prolétariat en Europe et les peuples opprimés par les impérialismes européens, cette faiblesse est une excellente occasion de faire la révolution contre le système capitaliste-impérialiste.