Iran: la propagande impérialiste en dépit de la révolte féministe

Depuis le 16 septembre 2022, en réaction au meurtre de Mahsa Amini par la police des moeurs iranienne, le pays connait un large mouvement de protestation mené par les femmes. Ces manifestations, initialement portées sur des revendications antithéocratiques ont rapidement évoluées pour réunir le peuple iranien contre la politique du pouvoir iranien, dénonçant le manque de libertés fondamentales, la situation économique et l’inflation. Pourtant, dans les pays impérialistes, ces mobilisations féministes et sociales sont récupérées de toutes parts pour servir les intérêts politiques et économiques des puissances réactionnaires et bourgeoises.

«Jin, Jiyan, Azadî !» est le slogan féministe que scandent les femmes iraniennes depuis des semaines («Femme, Vie, Liberté» en kurde). Au coeur de leur indignation, le meurtre brutal de la jeune kurde Mahsa Amini, détenue par «la police des moeurs» iranienne, pour ne pas avoir respectée les règles du port du hijab (obligatoire) imposées par la théocratie. Cette police est chargée de contrôler les tenues et les comportements des femmes iraniennes et de les sanctionner en cas de non-respect des codes de l’Etat. Depuis l’élection de Raissi, qui représentait la branche la plus réactionnaire de la dictature, ces lois se sont durcies et permettent à la milice de déchaîner sa violence. Celle-ci, additionnée à celle d’un contexte politico-économique qui a donné naissance à plusieurs mouvements de grèves les semaines précédent le meurtre de Mahsa Amini, ont fait imploser la colère du peuple iranien. En plus du caractère clairement patriarcal de la politique du pouvoir iranienne, son caractère ethno religieux est également pointé du doigt. Le statut de kurde sunnite de Mahsa Amini, dont le véritable nom kurde est Jîna, met en lumière cette facette du pouvoir iranien et permet une alliance entre tous les opposants à ce pouvoir, en particulier les minorités ethniques et religieuses que sont les turcs, les arabes et les baloutches, fortement réprimées dans le pays. Les travailleurs ont également amplifié le mouvement, en organisant des grèves dans plusieurs secteurs de l’économie iranienne. Ainsi, de nombreux appels à la grève nationale, en soutien au mouvement des femmes mais également portant des revendications en propre ont été largement suivis. Le mouvement réunit en son sein des revendications féministes, anti-impérialistes et de classe, tout en subissant une répression intense de la part de l’appareil étatique. Une répression et des revendications qui provoquent l’émoi au niveau international.

Pendant que les meurtres de femmes se multiplient en Iran, au niveau international, la mobilisation offre l’opportunité aux impérialistes d’avancer leur pions. Ainsi, aux Etats-Unis (où les relations avec l’Iran se sont encore tendues compte tenu des relations encore tendues compte tenu des relations russo-iraniennes et de la guerre en Ukraine) l’on nous présente dans tous les médias Masih Alinejad, une journaliste et militante iranienne qui dirigerait la mobilisation depuis les Etats-Unis. Ce que les journalistes et les politiques américains manquent de mentionner, c’est que Alinejad était une employée du gouvernement Trump et que son discours se fait l’écho de celui des intérêts étatsuniens1 . Elle est pourtant invitée par les chefs d’Etats du monde entier, dont Emmanuel Macron2 et est présentée comme un relai crédible des revendications du peuple iranien alors qu’elle appelle (avec grand succès) à renforcer les sanctions économiques à l’encontre de l’Iran. Ces sanctions aggravent la situation économique et l’inflation en Iran, au cœur des préoccupations des manifestants et des grévistes. Elle promeut également le régime impérial du Shah, renversé par la révolution de 1978, en s’affichant régulièrement portant l’emblème impérial du lion. La propagande impérialiste va même plus loin, profitant de la mobilisation pour mettre en avant le fils du Shah, Reza Pahlavi, le présentant comme le « prince héritier » porteur d’un discours sans aucun doute progressiste. Dans le jeu impérialiste, il semblerait qu’une dictature féodale vaille mieux qu’une dictature islamique.

En France, un autre discours a émergé, qui analyse la mobilisation féministe comme une confirmation des biais racistes et réactionnaires de notre bourgeoisie. Ainsi, des fascistes identitaires aux laïcards de la gauche de gouvernement, l’on nous annonce avec joie que la mobilisation féministe des femmes en Iran démontre la pertinence du racisme que subissent les femmes musulmanes en France depuis plusieurs années. Alors que l’islamophobie sert de base à la montée du fascisme en France, les Iraniennes qui brûlent leurs voiles ne brûleraient pas le symbole patriarcal et théocratique, mais bien un symbole civilisationnel qui prouve la supériorité de la pensée occidentale. D’Eric Zemmour à Laurence Rossignol, en passant par Raphaël Enthoven, tous expriment le même discours dans le fond : celui d’une hiérarchie raciale et sociale où les «les civilisations orientales» (et ceux qui y sont associés en France, c’est à dire les arabes) seraient les uniques tenant des violences patriarcales, inscrites dans leur ADN. Un discours ouvertement essentialiste et raciste qui se déguise en féminisme et en profite au passage pour soutenir l’oppression des femmes voilées en France. Pourtant, nos fascistes d’ici et les fascistes d’Iran ont le même projet: celui d’une nation ethno religieuse, où le contrôle sur le corps des femmes et des minorités ethniques est institutionnalisé et où les travailleurs sont opprimés et exploités au profit de la bourgeoisie nationale. Loin de construire une solidarité internationale concrète, la bourgeoisie impérialiste utilise le combat des femmes iraniennes tantôt pour justifier l’ingérence politique, tantôt pour mettre en avant sa propre vision d’un «féminisme» ethnocentré et identitaire.

En attendant, les vies iraniennes comptent peu.

 

1 Eli Clifton, « U.S. Media Outlets Fail to Disclose U.S. Government Ties of “Iranian Journalist” Echoing Trump Talking Points », Responsible Statecraft, 6 janvier 2020, https://responsiblestatecraft.org/2020/01/06/ u-s-media-outlets-fail-to-disclose-u-sgovernment-ties-of-iranian-journalistechoing-trump-talking-points/.

2 « Emmanuel Macron a rencontré plusieurs dissidentes iraniennes », consulté le 13 novembre 2022, https://www.lemonde.fr/international/ article/2022/11/12/emmanuel-macrona-rencontre-plusieurs-dissidentesiraniennes_6149535_3210.html.

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