Nous publions ici un article du n°75 de la Cause du Peuple, de février 2024.
Nous sommes désormais dans une nouvelle phase du deuxième quinquennat de Macron : 7 ans au pouvoir et un nouveau gouvernement pour une nouvelle phase. Déjà, la presse bourgeoise titre sur la « jeunesse » du nouveau premier ministre, sensée être la carte maîtresse de Macron pour préparer les élections européennes et en toile de fond, la présidentielle de 2027.
Nous pouvons donc tirer le bilan du gouvernement de Borne : réforme du chômage, réforme des retraites, répression du mouvement syndical, emprisonnement massif des révoltés de juin 2023 (95 % de condamnations), criminalisation du soutien à la Palestine et enfin loi immigration. Tout ça avec le deuxième plus grand usage du fameux 49.3 de l’histoire de la 5e République.
Si nous replaçons ce gouvernement dans le contexte plus général de l’État bourgeois français, on voit qu’il a été nommé par Macron pour un temps de crise : Borne était une technocrate peu clivante politiquement, à un moment où Macron a perdu la majorité absolue au Parlement ; elle a mené des réformes éclairs et violentes, dont la bourgeoisie avait besoin pour restructurer l’appareil productif et se préparer à la guerre, avec notamment l’augmentation du budget des Armées à 413 milliards d’€ pour les 7 prochaines années. Enfin, elle a permis à Macron d’accentuer le présidentialisme en recourant au 49.3, au décret, et finalement en étant expulsée de son poste par une « démission » forcée typique des Premiers Ministres jetables. Elle a ainsi dit dans sa lettre de démission : « il me faut présenter la démission de mon Gouvernement ».
Ce qu’on appelle la réactionnarisation de l’État bourgeois est parfaitement décrite là. Le système démocratique bourgeois parlementaire français connaît progressivement une évolution dans laquelle il s’écroule. C’est un premier aspect du problème, l’autre arme de la bourgeoisie c’est la négation complète de la démocratie : le fascisme. Dans ce processus de réactionnarisation, Macron est depuis 2017 l’acteur principal : c’est lui qui guide ce développement qui vise à repousser la crise de l’impérialisme français, restructurer l’État bourgeois et écraser les soulèvements prolétariens.
Plusieurs exemples permettent de comprendre facilement cette tendance. Par exemple, l’utilisation du décret, du 49.3, la négation du Parlement et des partis politiques, tout cela renforce la tendance à l’absolutisme présidentiel, qui est marquée historiquement dans l’Histoire française par les régimes les plus réactionnaires.
Concernant les principes démocratiques bourgeois universellement reconnus, Macron s’est fait sermonner le 8 janvier par un de ses soutiens dans la sphère intellectuelle : l’académicien François Sureau. Le Monde rapporte que celui-ci, ainsi que Laurent Fabius, président du Conseil Constitutionnel et ancien politicien socialiste important, ont reproché à Macron de piétiner la notion « d’État de droit », qui est une base essentielle de la démocratie bourgeoise. De la même manière, le passage de la loi immigration, dernier acte politique de Borne, a montré toutes les failles de la bourgeoisie au pouvoir : le Parlement a été utilisé dans un cirque qui a abouti au vote d’un texte soutenu par le gouvernement, tout ça pour que ce même gouvernement dise quelques jours plus tard qu’il y a des « dispositions anticonstitutionnelles dans la loi » et s’en remette au Conseil Constitutionnel. Ce dernier, par l’intermédiaire de Fabius cité plus haut, s’est plaint qu’on ne devrait pas « voter une loi si on sait qu’il y a des éléments anticonstitutionnels dedans ». Ainsi, en un seul exemple, toutes les institutions de la bourgeoisie s’effondrent et leurs relations mutuelles tournent à la mauvaise blague. Enfin, cet exemple nous permet même de saisir la relation mutuelle entre ce processus au sein de l’État bourgeois et le fascisme, puisque les forces les plus fascisantes, comme le RN, ont réclamé avec vigueur (et ils avaient raison) une victoire idéologique dans le passage de la loi immigration.
Macron a décidé de donner à 2024 une nouvelle teneur en virant Borne pour la remplacer par Attal. Celui-ci, jeune et dynamique (ça vous rappelle quelqu’un ?) est là pour donner un second souffle vers les élections européennes et au-delà. Mais officiellement, il est surtout là pour accomplir le projet annoncé par Macron dans ses vœux, c’est-à-dire le « réarmement ». Derrière cette expression se cache en réalité la partie émergée de l’iceberg. Macron, en tant que chef de file de la bourgeoisie impérialiste française, n’assume évidemment pas toute la réactionnarisation : il prétend réformer pour précisément « éviter le passage de l’extrême-droite » etc. Mais derrière le « réarmement » (militaire, économique, civique) se cache précisément cette tendance réactionnaire. Le gouvernement Attal, en conservant Darmanin à l’Intérieur et Le Maire à l’économie et aux finances, change peu de choses aux grandes affaires de l’État. Avec sa suppression de plusieurs ministères (logement, fonction publique, transports) et la fusion d’autres (santé et travail, éducation et jeunesse), il accélère ce qui a déjà été entamé par Borne.
Attal, c’est d’ailleurs un avatar parfait de cette réactionnarisation : lui, jeune socialiste qui a soi-disant connu son éveil politique en 2002 alors que Jean-Marie Le Pen était au second tour de l’élection présidentielle, il dirige aujourd’hui un des gouvernements les plus réactionnaires des 15 dernières années en ayant été l’un des artisans majeurs de la politique de Macron depuis 6 ans. Ceux qui prennent l’exemple des années Sarkozy pour comparaison se trompent : l’avancement à vitesse grand V de la réactionnarisation ne fait pas du gouvernement Attal un « nouveau gouvernement Sarkozy », c’est sur une base bien plus réactionnaire qu’il commence. Quand Sarkozy avait fait passer la réforme des retraites de 2010, Hollande avait fait un décret en 2012 pour annuler certaines dispositions. Aujourd’hui, si un successeur de Macron ou Le Pen est élu en 2027, il n’y a aucun doute que l’esprit des lois réactionnaires des quinquennats 2017-2027 sera non seulement conservé, mais encore développé et approfondi.
En guise de conclusion, on peut dire que ce qu’il se passe en ce moment dans le gouvernement bourgeois n’a rien de surprenant. De crise en crise, pour repousser la chute inéluctable de l’impérialisme en général et de l’impérialisme français en particulier, les bourgeois jouent à un jeu dangereux. Ils durcissent leur régime pour museler la révolte du prolétariat, sans se rendre compte que celui-ci se lève plus fort à mesure que la politique bourgeoise devient verrouillée, corrompue, et détestable. La réactionnarisation du deuxième quinquennat de Macron, c’est bel et bien le serpent qui se mord la queue : il creuse sa propre tombe en cherchant à se sauver. Nous, qui voyons le bateau de la bourgeoisie couler, nous ne devons pas avoir peur de l’avenir ou chercher à être sauvés par les menteurs de droite ou de gauche : nous savons que notre résistance sera victorieuse !
Les réactionnaires peuvent-ils gagner ? Un exemple historique
Quand nous disons que les mesures réactionnaires de la bourgeoisie doivent nous pousser à lutter, certains pensent « oui mais, et si la réaction gagne ? Si le fascisme passe ? ». Pour répondre à cette question, prenons un exemple historique.
En 1938, la France est gouvernée par la droite de Daladier, qui se prépare à la guerre contre l’Allemagne Nazie. Celui-ci annule les lois du Front Populaire qui avaient été conquise dans la grève. Il encourage les licenciements et interdit les organisations liées à l’Union Soviétique. Après la défaite française, les pleins pouvoirs sont votés par la bourgeoisie à Pétain qui met en place un régime fasciste de collaboration avec les nazis. De 1938 à 1945, on voit donc une période qui fait partie des plus réactionnaires de l’Histoire de France.
Mais loin d’être écrasées, les masses se sont au contraire révoltées. Les maquis et les groupes de Résistance ont été rejoints en masse par les ouvriers et les paysans, et même la bourgeoisie a dû reconnaître le caractère prolétarien et populaire de la Résistance. Les ouvriers sont en armes, et c’est immédiatement après cette période de réaction profonde que l’on trouve les mesures sociales les plus radicales. Ni le système de retraites, ni la sécurité sociale ne sont nées d’une élection où la gauche est arrivée au pouvoir, ou d’une simple manifestation : si la bourgeoisie a été obligée de lâcher temporairement ces concessions, c’est qu’elles ont été conquises par la lutte armée de cent mille communistes, de millions de masses ouvrières et paysannes.
Ainsi, les réactionnaires sont toujours balayés, ils ne peuvent se maintenir très longtemps car leur politique demande l’oppression de la majorité. Aujourd’hui, tout ce que la bourgeoisie fait en tentant de se maintenir, c’est préparer les forces qui détruiront son pouvoir.