Fin du droit du sol à Mayotte : une avancée de plus dans la réactionnarisation de l’État

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En Février 2024, le ministre de l’Intérieur Darmanin a annoncé qu’Emmanuel Macron souhaitait qu’il « ne soit plus possible de devenir français si l’on n’est pas soi-même enfant de parents français » si on est né à Mayotte.

Dans le contexte général de la loi immigration, où le droit du sol était déjà remis en cause avant la censure du Conseil Constitutionnel (pour raisons techniques et non politiques), il faut se pencher sur cette décision pour en tirer des conséquences sur la réactionnarisation de l’État bourgeois (voir notre précédent numéro).

Le droit du sol, un principe devenu important pour la bourgeoisie française

Vis à vis de la nationalité, la bourgeoisie française a évolué avec le temps, en suivant le développement du capitalisme français.

La grande Révolution française de 1789 installe la bourgeoisie aux commandes. Avec la première monarchie constitutionnelle (1791), il existe une forme de droit du sol qui est confirmé après la fin de la Révolution dans le Code Napoléon de 1804. Mais ce droit du sol est conditionnel, on ne peut pas dire qu’il soit particulièrement un principe établi pour la bourgeoisie française, il est d’ailleurs peu utilisé.

C’est en 1851 puis en 1889 que la loi fixe le droit du sol fortement dans le droit français. Pourquoi ça ? C’est l’époque où le capitalisme français a besoin de main d’œuvre et ne peut pas se reposer seulement sur les anciens paysans, qui n’arrivent pas assez vite en ville ou sont morts dans les guerres successives. Il faut donc des immigrés qu’on ira chercher en Italie, Espagne, Belgique... Ainsi on notera par exemple que 1889, quand arrive la nouvelle loi, c’est presque 20 ans après 1870-71, époque de la guerre Franco-Prussienne et de la Commune ; il y aura donc forcément des absents dans les classes d’âge qui doivent effectuer le service militaire, car leurs potentiels parents sont morts à la guerre. La loi de cette année là reflétera cette réalité pour forcer les jeunes enfants d’étrangers à faire le service militaire à leur majorité.

Ainsi, dans le tournant vers l’impérialisme qui se passe autour de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle, la France devient le premier pays d’immigration d’Europe tout en restreignant la nationalité dans ses nouvelles colonies où l’on ne devient pas français comme en métropole (code de l’indigénat de 1881). Cela perdurera avec l’exemple infâme de la dénomination de « Français musulmans » en Algérie, qui accompagne tant de massacres et de persécutions. Il faut garder cela en tête pour se rappeler toujours comment l’impérialisme français a l’habitude de traiter ceux qu’il désigne étranger sur « son » sol.

On peut ainsi dire que dés le début de son histoire contemporaine (car il existait aussi d’une autre manière sous l’Ancien Régime), le droit du sol a évolué en France (et ailleurs dans les colonies) selon les nécessités du capitalisme puis de l’impérialisme français. Il s’est ouvert quand il y avait besoin de main d’œuvre, et s’est refermé ensuite. Mais il est devenu un principe général du droit de la bourgeoisie française, un instrument par lequel elle pouvait contrôler sa population dans l’ensemble des régimes bourgeois qui se sont succédé depuis la 1ère République.

Par conséquent, il est tout à fait important de noter que sa remise en question à Mayotte, puis en France en général (ce qui est la position des Républicains de Ciotti et est la position historique du RN depuis le père Le Pen) ne fait grogner presque personne. Au contraire, cette « solution » est vendue aux masses comme une solution aux problèmes de Mayotte (voir encart sur l’opération Wuambushu 2). C’est un signe de la réactionnarisation de l’État, car la tradition juridique de longue date de la démocratie bourgeoise en France est remise en cause pour la première fois de façon si intense depuis la soi-disant « décolonisation » et depuis le régime de Vichy, qui était revenu sur les naturalisations obtenues « par le sol » avec son gouvernement fasciste de déportations.

Au-delà du droit du sol, la négation des principes démocratiques bourgeois français

La bourgeoisie française s’est toujours vantée d’être l’héritière des Lumières, des grandes idées, des traditions de liberté et de droits de l’Homme. Tout ce blabla a pris un sacré coup de vieux quand on voit l’exploitation féroce et les mesures inhumaines prises à travers les 175 dernières années par l’État bourgeois devenu le plus grand oppresseur après avoir fait croire qu’il rendrait les citoyens libres.

Comme expliqué plus haut, il est très important de lier ce développement actuel à l’histoire de l’impérialisme français. Il faut donc reconnaître dans cette mesure à Mayotte une violation ouverte et délibérée du principe pourtant inscrit dans les « principes de la République » : « la République est une et indivisible ».

Indivisible, vraiment ? Pourtant, la remise en cause du droit de nationalité sur une partie seulement du territoire (Mayotte) brise totalement ce principe.

La réactionnarisation de l’État bourgeois dont nous parlons n’est pas une abstraction, elle se réalise dans des mesures concrètes, où les principes de la République bourgeoise (démocratique-libérale) sont remis en cause par le gouvernement qui est à la tête même de celle-ci. Il n’est pas étonnant que les forces flirtant le plus ouvertement avec le fascisme soutiennent l’extension de telles mesures et réclament des « victoires idéologiques » lorsqu’elles sont présentées.

C’est une nécessité pour la bourgeoisie d’avancer avec de telles armes quitte à dédire ses penseurs et les écrivains originaux de ses grands textes de loi, comme la Constitution de la Vème République. Il lui faut absolument restructurer l’État pour conjurer la crise et mettre au pas les révoltes, ce sont des tâches qui vont toutes ensemble.

Plus rien de progressiste ne peut venir de la bourgeoisie. L’impérialisme est un parasite et l’impérialisme français est un parasite luxueux, affamé, qui ne peut pas soutenir son poids sans sucer le sang des prolétaires en France et des peuples opprimés à l’étranger. Il tente de nous entraîner dans sa chute par ses lois, ses guerres et ses projets délirants, et les opportunistes du Parlement tentent de nous faire croire qu’il est possible de le sauver, de ne pas faire de réformes réactionnaires mais un programme « de gauche ».

Mais c’est peine perdue, la réactionnarisation de l’État bourgeois français se poursuit frénétiquement ces dernières années. La seule classe capable de changer la donne, c’est le prolétariat, car il porte la tâche d’abattre l’État bourgeois et avec lui, la réaction sur toute la ligne.

Wuambushu 2 : la militarisation accrue à Mayotte sous prétexte de sécurité

Déjà l’an dernier nous avions parlé de Wuambushu, l’opération du gouvernement Macron à Mayotte qui avait abouti à la destruction de plusieurs quartiers, faisant un grand nombre de sans-domicile dans la population de l’île.

En avril l’État français lance l’opération Wuambushu 2, avec des mesures de contrôle réactionnaires pour empêcher toute résistance et réaliser les décasages (destruction des habitations). Le problème de la délinquance, sur lequel l’État bourgeois met fortement l’accent, est en réalité le problème de la résistance aux forces de répression : la ministre des Outre-mer a annoncé l’interdiction des ventes de machettes et la possibilité d’euthanasier les « chiens d’attaque » en prévision de l’entrée des policiers et gendarmes dans les bidonvilles.

Mais qui a créé les « bandes » et les « chefs de bandes » que l’État français se plaint d’avoir à « pacifier » ? N’est-ce pas une attitude de pompier pyromane que d’occuper illégalement un territoire, d’attaquer à coup de bulldozers et de policiers et gendarmes les quartiers pauvres où se masse une population très jeune, sans perspective et souvent sans papier, et ensuite de s’étonner des problèmes qui émergent ?

En réalité il n’y a rien d’étonnant là-dedans, ni pour l’État bourgeois ni pour nous. Cela fait partie de leurs manœuvres dégueulasses pour diviser le peuple, se présenter comme les « sauveurs » du « bon peuple » de Mayotte, qui lui a ses papiers, qui lui a des maisons en dur. Tout ça contre les « voyous » et les « criminels » que l’impérialisme français a lui-même créés par sa politique, pas seulement à Mayotte, mais aussi envers les Comores, l’archipel dont fait partie l’île et qui est parmi les plus pauvres du monde. Le décor est posé, l’État bourgeois veut nous faire croire qu’il y a d’un côté les gentils et de l’autre les méchants et que lui n’a rien à voir avec l’affaire, tout ça alors qu’il a l’arme du crime entre les mains.

Wuambushu 2 n’est pas une opération de « pacification », c’est une militarisation du territoire de Mayotte, un territoire où l’on peut se faire détruire sa maison à tout moment, euthanasier son chien sans raison, ou bien ne pas avoir d’eau propre pendant des semaines.

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