Fin février, le comité Cause du Peuple Nantes est allé rejoindre les agriculteurs qui bloquent la plate-forme logistique SCA Ouest, une plate-forme logistique Leclerc qui fournit tout le grand Ouest.
On a rencontré Romain, paysan maraîcher, qui nous a raconté un peu le blocage.
Romain : Moi je suis paysan maraîcher au sein d’un GAEC. Un GAEC, c’est un groupement agricole en commun. Sur notre ferme, on a différentes exploitations, différents ateliers. On a un troupeau de vaches laitières, on cultive nos céréales sur la ferme pour en faire du pain, de la farine, moi je m’occupe de l’atelier maraîchage sur cette ferme. C’est une ferme qui est d’organisation collective, anciennement une ferme familiale, qui se transforme en une ferme avec tiers. La plupart de nos trucs c’est circuits courts. Donc on a un magasin à la ferme, après c’est réseaux AMAP, restaurants scolaires, des restaurants du coin et d’autres producteurs pour agrémenter leur gamme dans leur magasin.
CdP: Tu peux nous parler de ce blocage ?
Romain : Alors le blocage, il a commencé lundi soir vers 21h. On était 35 tracteurs, donc un peu plus d’agriculteurs parce qu’il y avait des agriculteurs qui ont pu se déplacer qu’avec leur voiture, ça c’est vraiment fait au pied levé.
Les réunions se sont faites lundi dans l’aprem et le soir ça s’est bougé. La cible, la SCA Ouest, elle a été choisie parce que Leclerc respecte pas du tout la loi EGALIM. Ils ont une centrale d’achat en Belgique. Nous on sait que la loi EGALIM c’est vraiment le truc minimum, c’est le service minimum, mais même le service minimum il est pas respecté. Donc bon voilà, on part sur des bases sur lesquelles on peut discuter, même avec des gens qui ne sont pas de notre bord. C’est logique, économique en fait.
C’est une cible qui est assez symbolique et en même temps qui fait du bruit. Parce que la SCA Ouest c’est la plus grosse centrale, la plus grosse plate-forme de redispatchage des produits pour Leclerc sur le grand Ouest. Donc ça va toucher aussi bien les Pays de la Loire que la Bretagne et jusqu’ un peu les Deux-Sèvres, tout ça. Donc ça touche une petite soixantaine de Leclerc. Si on rajoute les drive, on est à 74 je crois.
Pourquoi est-ce qu’on a décidé de se joindre à cette contestation d’agriculteurs en général ?
Sans parler des étiquettes, c’est parce que les revendications dont on entendait parler dans les médias, que ce soit portées par la FNSEA, la Coordination rurale, sont absolument pas celles qu’on porte. On a des points de convergence sur les accords de libre échange, et par exemple il y a une loi européenne qui va passer sur le retournement des terres. On ne pourra plus retourner, par exemple, des prairies qui sont considérées comme permanentes, mais elles sont considérées comme permanentes au bout de cinq ans.
Nous, en bio, on a des systèmes de rotation longue. C’est la base de l’agriculture biologique, la rotation et donc dans un système où on fait différents ateliers, si on ne peut pas retourner au bout d’un moment des vieilles prairies, donc les intégrer dans le cycle de rotation, on va se retrouver bloqué et donc limité et cantonné à juste soit faire que de l’élevage, soit faire que de la culture. Enfin voilà vraiment une sectorisation qui nous emmerde.
Donc il y a ce point, ce point là sur lequel on pourrait être d’accord avec, on va dire, la Coordination Rurale. Par contre, ces syndicats là, eux veulent continuer à pouvoir arracher les haies, ils veulent pouvoir balancer des pesticides autour des écoles, des habitations, ils veulent faire sauter toutes les lois sur le littoral, donc sur les rejets, ça peut être des effluents d’élevage ou aussi les apports d’engrais azotés, ce genre de choses qui vont finir dans les cours d’eau, faire des marées vertes, on sait ce que ça fait, ça cause des morts sur les côtes tout ça.
On est persuadé que l’agricole, c’est ça qui gère le territoire français et les territoires en général. Si l’agriculture fait n’importe quoi, on aura aucune capacité à pouvoir encaisser en tant que société les chocs qui vont nous attendre avec le réchauffement climatique. Donc voilà pourquoi on est ici, pour dire qu’il y a une autre agriculture qui existe, qui est possible, et qu’on n’est pas obligé de traiter, on n’est pas obligé d’arracher les haies pour nourrir le monde. On a choisi ce lieu symbolique pour faire entendre parler une autre voix de l’agriculture.
CdP: Tu penses quoi des discussions à Matignon en ce moment ? Qu’est ce que tu voudrais obtenir de ce mouvement, au delà des accords de la FNSEA ?
Romain : La FNSEA, moi je leur en veux, mais j’en veux pas aux gens qui sont adhérents à la FNSEA parce que eux, le problème de la plupart des structures agricoles en France aujourd’hui, c’est qu’on est surendetté.
Il faut se surendetter pour acheter son tracteur, sa ferme pour pouvoir bosser, On est surendetté pour pouvoir bosser, pas pour acheter un yacht. Donc ces gens là (les agriculteurs, ndlr), ils sont tenus et ils sont obligés de toujours faire plus gros parce qu’on les met de plus en plus en concurrence avec des pays qui n’ont pas de normes ou qui n’ont pas les mêmes taxes parce que nous, on a un système social solidaire. Pour l’instant encore, à peu près à peu près *rire*. Et donc forcément, comme on nous met en concurrence, il faut toujours qu’on produise pour moins cher. Et donc, si tu fais sauter les normes, tu feras pour moins cher et tout. Mais on va sur un appauvrissement, une paupérisation générale si on réfléchit comme ça parce qu’on trouvera toujours moins cher ailleurs, on trouvera forcément de la main d’œuvre pour moins cher, parce que pour faire baisser les prix il faut soit prendre sur la qualité du produit soit sur les travailleurs voir les deux, on va revenir sur un système d’esclavage en continuant comme ça.
CdP: C’est quoi vos objectifs, vos perspectives ?
Romain : On espère faire comprendre au grand public que c’est pas parce qu’on est agriculteur qu’on veut défoncer le territoire et qu’on veut mettre à mal la biodiversité. Ça, c’est un des enjeux principaux, de profiter du fait qu’il y a un intérêt pour tout le monde, pour le citoyen lambda, pour l’agriculture.
Aussi, on sait qu’en trois jours, cette plate-forme, si elle est bloquée, les Leclerc sont plus alimentés. Donc c’est aussi de mettre un peu à mal la grande distribution parce que nous, dans notre système, on estime que la grande distribution ils font autant de mal que l’agro-industrie
C’est eux qui forcent les agriculteurs à s’endetter, à se mettre en concurrence avec des pays qui n’ont pas les mêmes normes que nous. Mais nous, on est fiers de ces normes. Il y a des normes qui sont mal faites, mais ça c’est le problème des bureaucraties, c’est systématique. Mais en tout cas, nous, on est fiers de pouvoir dire aussi qu’il y a eu quelques petites avancées écologiques et on ne veut pas revenir dessus. On veut pas revenir dessus, ça c’est primordial.
CdP: merci Romain pour ton témoignage, à bientôt !