Le cirque des « élections européennes » a joué son dernier numéro en France. Les résultats sont clairs : comme toutes les élections depuis l’arrivée de Macron à la présidentielle, le rejet du système électoral (abstention, blancs, nuls) est le grand vainqueur avec 25 millions de voix. C’est la tendance historique des masses les plus larges et profondes en France : rejeter l’État bourgeois, son gouvernement, son système. C’est la leçon principale.
Les commentateurs bourgeois s’attardent sur une « participation historique depuis 30 ans ». Ils oublient consciemment que les élections européennes de 2019, 2014 et des années 2000 avaient en France un caractère « européen », c’est-à-dire que la bourgeoisie incitait les masses à aller voter par rapport au « parlement européen », cet instrument sans pouvoir où 705 acteurs (députés) jouent des pièces sans saveur au profit de la lutte et de la collusion entre les puissances impérialistes d’Europe et de tous les monopoles et leurs lobbys.
2024 était différente : après l’élection de 2022 et la grande année de révolte de 2023, dans une situation de crise économique, sociale et politique, les élections européennes ont été utilisées par les partis bourgeois, RN et parti présidentiel en tête, comme une répétition des confrontations à venir sur le plan national. Voilà pourquoi le premier ministre Attal a débattu avec le RN. Voilà pourquoi Jordan Bardella, qui a reçu 7,7 millions de voix (15 % de l’électorat), c’est-à-dire 1 million de moins que Le Pen en 2022, a appelé immédiatement à la dissolution de l’Assemblée Nationale.
Les résultats parlent d’eux-mêmes : la victoire du RN, c’est que sa base électorale a voté. Ce n’est pas une montée en flèche. La côte de Bardella n’est grande que parce qu’autour de lui, tous les partis se sont effondrés. Le parti de Macron a perdu 1,5 millions d’électeurs par rapport à 2019.
En 2017, Macron a ouvert une période de crise politique dans la bourgeoisie française en consolidant un nouveau parti bourgeois sur les ruines fumantes du PS. Dans son premier quinquennat, par l’intermédiaire de son premier ministre Édouard Philippe, il est parvenu à mettre à terre LR. Il s’est taillé la part du roi chez les vaincus et est devenu le porte-étendard idéal de la bourgeoisie impérialiste française. En 2022, seul face à Le Pen, il est réélu. Aujourd’hui, il déclare la dissolution de l’Assemblée Nationale.
La bourgeoisie en tant que classe se bataille en fractions parlementaires : les intérêts de l’impérialisme français sont défendus en commun par le parti présidentiel et le RN. Ce sont deux partis de la bourgeoisie. Il n’y a pas d’un côté le pompier et de l’autre le pyromane : ils sont tous les deux pompiers pyromanes, au service d’un État réactionnaire.
Les médias et politiciens bourgeois sont aujourd’hui en gueule de bois : comment Macron a-t-il pu dissoudre ? Pour quoi faire ? Il n’y aurait rien de logique là-dedans selon eux. Pour les plus machiavéliques, ça serait un « coup politique », un « pari risqué ». Pour les naïfs, Macron a simplement « renvoyé la balle dans le camp du peuple » après le « choc » de ces élections européennes… qui n’ont choqué personne car les sondages avaient tout dit avant les urnes !
Ils ignorent la réalité de la lutte de classes en France et du processus de réactionnarisation de l’État bourgeois. La bourgeoisie veut conjurer la crise à tout prix, elle est prête à toutes les recompositions, tous les partis au pouvoir, tous les régimes, pour se maintenir comme classe dominante face à son inévitable déclin et son renversement par le prolétariat.
Ainsi, prétendre que Macron aurait dissout l’Assemblée Nationale, un des pouvoirs exceptionnels du président français, « à la légère », c’est du mensonge pur et dur. Les seuls qui y croient sincèrement sont les députés sortant, de gauche comme de droite, qui claquent des jambes et sont aveuglés par la perte de leurs privilèges.
Le journal Le Monde a révélé ce 10 juin qu’une cellule travaillait à l’Élysée depuis plusieurs mois sur la dissolution. C’était donc un plan préparé. En France, le Président, même minoritaire à l’Assemblée, garde un pouvoir immense. C’est ce qu’a décidé la bourgeoisie française quand elle a choisi De Gaulle au siècle dernier. Macron a jeté à la poubelle les projets de la fin de quinquennat (ainsi, le dégel du corps électoral en Kanaky (Nouvelle-Calédonie) , qui a conduit à la grande révolte de ces dernières semaines, mais aussi la fin de vie ou bien les projets de réforme du chômage) pour aller au plus profond de la crise.
Les législatives anticipées qu’il a convoquées ne sont pas une campagne : avec 20 jours pour les préparer, il prend tout le monde de court, même le RN qui les demandait dans ses discours. C’est une véritable farce électorale pure et dure. Après 2 ans de cirque à l’Assemblée où les masses ont pu comprendre ce que signifiait concrètement « crétinisme parlementaire », la dissoudre n’est pas une perte pour Macron. S’il gagne l’élection avec une coalition, il clôt une période de recomposition et d’opposition et peut préparer 2027 qui est la véritable prochaine échéance. S’il perd et que le RN parvient au gouvernement, il avancera avec les mêmes projets réactionnaires, en plus assumés, et échouera, lui aussi, à conjurer la crise : comme Meloni échoue en ce moment en Italie. La réactionnarisation progressera et la bourgeoisie impérialiste française contemplera comme elle le fait déjà ses possibilités d’enlever à la démocratie bourgeoise ses apparats au cours d’une crise de régime.
Les trompettes et les clairons de la gauche sont quant à eux misérables. Ils pensent qu’une alliance électorale opportuniste, sans principe, amènera les larges masses, les 25 millions qui ont tourné le dos aux chambres bourgeoises et aux isoloirs, à voter pour eux. Ils voudront faire culpabiliser en masse ces « déçus », ces « désintéressés ». C’est en pure perte. Dans la décomposition de l’impérialisme dans laquelle nous vivons, le prolétariat n’a qu’une politique : boycott des élections, préparation sérieuse de la révolution.