Ecologie et lutte des classes : l’exemple des Soulèvements de la Terre

L’été arrive et la catastrophe écologique ressurgit. 51 départements sont déjà en état de sécheresse dès fin juin, tandis qu’entre Garonne et Atlantique les orages diluviens s’enchaînent. Les événements climatiques exceptionnels deviennent la norme, et dans ce moment précis l’État choisit de dissoudre les Soulèvements de la Terre (SDT). Le soutien populaire est réel et puissant, des dizaines de milliers de personne appuient la ligne des SDT, c’est-à-dire l’action directe relativement radicale. Les « Faucheurs volontaires », un groupe anti-OGM du début des années 2000, avaient déjà prouvé l’inquiétude qui touche les masses populaires au sujet de l’écologie et de la nourriture. Il semblerait que tout notre monde n’est plus que poison : l’eau, la nourriture et l’air sont devenus des dangers pour la vie humaine ; l’explosion des cancers est le reflet de cette réalité matérielle dans notre chair.

Les Soulèvements de la Terre ne sont en fait pas persécutés parce qu’ils s’attaquent à l’écocide, mais parce qu’ils s’attaquent au fondement de la société bourgeoise, la propriété privée. Dès la Révolution française, la Déclaration des droits de l’Homme pose le cadre : “la propriété est un droit inviolable et sacré” ; et dans notre actuelle Constitution, le droit à la propriété “est un droit naturel et imprescriptible pour l’Homme dont sa conservation constitue l’un des buts de la société politique”. La chose est on ne peut plus claire : s’attaquer à la propriété, c’est l’apostasie de la société capitaliste, dont la base est la propriété privée des moyens de production. Désarmer une centrale à béton appartenant au monopole Lafarge, détruire une pompe pour empêcher que les agro-capitalistes continuent à profiter, relève de « l’hérésie ». Le rôle central de l’État bourgeois, sa raison d’être, est bien de conserver et de protéger la propriété privée, si besoin par la mort et la destruction.

Nous touchons là aux limites des Soulèvements de la Terre. La démarche est puissante, mais l’analyse ne va pas au fond des choses et reste superficielle. Ils n’expliquent nulle part que c’est le mode de production capitaliste qui engendre tout cela, et que c’est par le passage révolutionnaire à un mode de production supérieur, le Communisme – et donc par la fin de la propriété privée -, qu’on sortira de la catastrophe. Les SDT soutiennent la petite paysannerie comme si elle était la solution à un problème beaucoup plus large. Il est effectivement nécessaire de soutenir la petite et moyenne paysannerie face au monopole agro-capitaliste, mais penser qu’il y a possibilité de revenir en arrière est illusoire. Karl Marx le disait déjà au XIXème siècle : la paysannerie est condamnée comme classe car elle ne répond pas aux exigences économiques du capitalisme. L’effondrement numérique accéléré de la petite et moyenne paysannerie correspond à la modernisation et au développement de l’impérialisme français. Les politiques de regroupement de parcelles et de mécanisation massive ont visé à moderniser l’agriculture pour répondre au développement de l’agro-capitalisme. Ce fut une des œuvres du Gaullisme, qui de manière opportuniste se faisait le « défenseur du petit paysan ». La concentration de la terre est consubstantielle de la décomposition de l’impérialisme, stade suprême du capitalisme. Tout le système n’avantage que les gros propriétaires, les autres devant se moderniser ou périr – ou de manière minoritaire, trouver des « niches ». Cette concentration va s’accélérer, car 5 millions d’hectares (soit 20 % de la surface agricole nationale) vont changer de main d’ici 2033, du fait du départ à la retraite de plus de 25 % des agriculteurs. En 2013 en France, 20 % des exploitations étaient supérieures à 100 hectares (c’est-à-dire considérées comme « grande propriété ») mais contrôlaient à elles seules 61,9 % de la surface agricole utile – elles se concentrent dans les zones de grandes cultures céréalières intensives.

Cela démontre ce que le marxisme affirme : le capitalisme pose les bases matérielles de la collectivisation. La solution est dans la collectivisation des grandes propriétés foncières d’un côté et le soutien aux moyennes et petites propriétés de l’autre ; ces dernières passeront dans le domaine collectif sur une période plus longue, dans une démarche avant tout pédagogique. Qui dit collectivisation de la terre, dit destruction du monopole de l’agroalimentaire, par l’expropriation des grandes entreprises, véritables vampires de la petite et moyenne agriculture. Nous avons là le programme révolutionnaire minimum pour la petite et moyenne paysannerie : expropriation et collectivisation de la grande propriété foncière et du monopole agro-industriel.

Quand nous parlons de collectivisation, nous parlons d’une gestion de la terre et de la nature non pas organisée pour le bien-être du marché, mais au service de la population et du développement social du pays. La planification agricole permettra d’adapter les cultures aux réalités des sols, d’organiser des grands plans de réparation des sols, d’utiliser l’eau de manière rationnelle, d’interdire des grandes parties du territoire à la présence humaine, dans l’esprit des zapovedniks (grandes aires naturelles intégralement protégées) de l’URSS.

Si nous creusons un peu plus sur ce sujet, nous nous rendons compte que le réel problème historique est la division entre la ville et la campagne, aujourd’hui entre la métropole et «l’hinterland», l’arrière-pays. C’est le cœur du problème paysan et rural, mais aussi métropolitain. Toute politique écologique révolutionnaire doit poser la question de la déconcentration à grande échelle des métropoles et de la réorganisation radicale du territoire. Le démantèlement planifié des métropoles doit aller de pair avec le développement économique des zones rurales. Cela ne peut passer que par la réindustrialisation du territoire, créant les bases économiques pour un développement en harmonie avec la biosphère. Le but, à terme, est de supprimer la différence entre la ville et la campagne. L’appropriation de la technique et de la science pour le bien-être collectif donnera les clés pour résoudre tous les problèmes, car la recherche scientifique au service du capital et coupée de la réalité matérielle des masses participe grandement à la catastrophe. Notons d’ailleurs ici que la critique de la technologie dans l’absolu qui est faite par les SDT est totalement erronée. Le marxisme porte comme projet la fin de la division entre la sphère manuelle et intellectuelle, le socialisme portera donc la fusion entre le travailleur de la terre et le scientifique.

Bien. Tout cela pose les bases d’un début de réflexion, mais ne sera qu’un vœu pieu si la question du Pouvoir, c’est-à-dire la question de qui dirige la société, n’est pas abordée. Les SDT “n’attendent rien de l’Etat”, mais pourtant leur démarche actuelle qui ne pose pas la question du Pouvoir tend à renforcer l’État, à lui donner encore plus un rôle de médiateur entre le capital et « la terre ». Qui d’autre que la puissance étatique peut aujourd’hui arrêter les méga-bassines ? Qui a décrété la fin de l’aéroport de Nantes et qui autorise et soutient massivement les LGV Bordeaux-Toulouse ou Lyon-Turin ?

La question au centre de tout devrait donc être celle de l’État. En un mot, quel État et pour qui ? Tous les militants, activistes et masses qui appuient les SDT sont d’accord : nous vivons sous la dictature de la minorité de riches qui imposent leurs volontés à la majorité. Rien n’est plus exact ! En revanche, nulle part il n’est dit que ce dont nous avons besoin, c’est de la dictature de la majorité sur cette minorité, pour la contraindre à disparaître socialement, soit en tant que classe, en expropriant par la force les monopoles, en nationalisant le commerce extérieur, en fermant la bourse. Depuis Karl Marx, cette politique s’appelle la Dictature du Prolétariat, la démocratie pour le plus grand nombre mais la dictature pour les exploiteurs. C’est le seul chemin politique qui pourra contraindre les Lafarge à disparaître, qui pourra mettre toute l’intelligence collective vraiment au service du collectif, qui pourra organiser un plan massif de plantation de haies et de forêts, de sauvegarde de l’eau et de sanctuarisation de vaste zones naturelles, qui pourra supprimer le tourisme de masse dans ces zones, et tout le reste.

Nous faisons donc assurément partie intégrante des Soulèvements de la Terre, nous comprenons l’urgence et la nécessité d’agir, mais nous disons qu’il faut aller plus loin, qu’il faut politiser la question et que la politique c’est l’expression de l’antagonisme de classe, et donc de qui dirige la société, de quelle classe a le pouvoir ; car c’est bien le cœur de tout. Si ça ne l’était pas, les attaques des SDT contre la propriété privée n’auraient pas reçues une réaction aussi radicale de la part de l’État, que cela soit à Sainte-Soline ou avec leur dissolution. Alors allons jusqu’au bout de la critique, et proposons un chemin clair pour la biosphère et la fin de l’écocide.