Depuis début mai, l’état indien du Manipur connaît de violents affrontements, faisant des centaines de morts. En jeu : l’appropriation de terres des paysans pauvres par la bourgeoisie bureaucratique.
Le nord-est de l’Inde est une grande région regroupant 8 États à part, rattachés au reste de l’Inde par le Corridor de Siliguri, une fine bande de terre indienne entre le Népal et le Pakistan. Depuis l’indépendance de l’Inde, plusieurs dizaines de milliers de personnes sont mortes dans des rébellions indépendantistes dans la région. C’est à l’extrême est de cette zone que se trouve l’état du Manipur, où la majorité de population est formée du peuple Meitei. La zone est agitée depuis février, quand le gouvernement fasciste dirigé par le BJP (parti nationaliste hindou) lance une campagne d’expulsion de terres ciblant des ethnies minoritaires. L’agitation et les tensions escaladent début mai, prenant la forme d’une grande révolte. Cela fait suite à la décision de la Haute Cour du Manipur de reconnaître les Meitei comme communauté tribale. Cette reconnaissance leur donne des droits spécifiques, au même titre que des communautés minoritaires, en matière d’accès à l’emplois, et à la propriété d’entreprises ou de terres. Constituant la couche dominante de l’état du Manipur, cela signifie que de riches Meitei peuvent désormais s’approprier des terres jusqu’alors sanctuarisées pour des tribus pauvres, comme les Kuki ou les Naga.
Les grandes manifestations du 3 mai sont appelées par le Forum des chefs tribaux indigènes (ITLF), une organisation qui rassemble tous les représentants des tribus minoritaires du Manipur, mais aussi l’association des étudiants indigènes (ATSUM), issus de ces tribus. Dès le lendemain du déclenchement de la révolte, un couvre-feu est décrété dans l’état et l’accès à internet est suspendu. 10 000 militaires sont déployés dans tout le Manipur pour « sécuriser » la situation, appuyés des Fusillers de l’Assam, une unité paramilitaire contrôlée par le gouvernement central, dont la mission principale est d’assurer des missions de contre-insurrection dans cette zone du nord-est.
La situation est explosive depuis, avec des dizaines de morts suite à la répression, les insurgés ripostant en ouvrant le feu, tuant ou blessant quelques militaires et paramilitaires. Dans le même temps, des blocages routiers mis en place par les paysans se multiplient, alors que le gouvernement affrète des drones et hélicoptères pour surveiller et frapper depuis le ciel ; des journalistes rapportent être empêchés violemment de couvrir la répression. Le 24 mai, les masses révoltées attaquent et saccagent la maison du ministre de la Jeunesse et des Sports du Manipur. Deux jours plus tard, des milliers de personnes bravent le couvre-feu et se dirigent vers la maison du ministre des Affaires extérieures. Devant la pression populaire, le ministre doit fuir l’état pour se rendre à New Delhi. À partir du 27 mai, alors que la colère ne faiblit pas et que l’inflation a fait quasiment doubler le prix de certains produits depuis le début du conflit, une opération militaire est engagée, faisant au moins 33 morts. Le 3 juin, le bilan officiel est porté à 98 morts et 310 blessés. Le 15 juin, un grand incendie est allumé par les révoltés sur la maison du ministre indien, R. K. Ranjan Singh, membre du gouvernement de Modi pour les Affaires étrangères. La même soirée, c’est environ 1 000 personnes qui tentent d’incendier des bâtiments dans la zone autour du palais du gouvernement de Manipur. Ranjan Singh admet lui-même que les évènements sont incontrôlables : « Je suis choqué. La situation de l’ordre public au Manipur a totalement échoué. »
Début juillet, la lutte est toujours en cours dans le Manipur, toujours sans accès internet, sous couvre-feu, avec 30 000 militaires et paramilitaires sur place. On dénombre 138 personnes tuées, et environ 60 000 paysans ont déjà été expulsés. L’aspect principal de cette lutte, c’est l’oppression de populations paysannes pauvres par le système semi-féodal indien, qui permet l’appropriation de terres par une minorité de grands propriétaires, en collusion avec des projets impérialistes portés par des sociétés étrangères (notamment l’exportation de la production agricole). Tant que ce système ne prendra pas fin, la révolte grondera.