Équateur : derrière l’assassinat d’un candidat, la crise du vieil État

Le 9 août dernier, à onze jours du premier tour, le candidat à la présidentielle équatorienne Fernando Villavicencio est assassiné de trois balles dans la tête à la sortie d’un rassemblement politique pour sa campagne. Probablement victime de trafiquants de drogue, son meurtre révèle surtout la crise du vieil État équatorien.

 

L’Amérique du Sud est un continent ravagé par la pauvreté. La faim y a gagné 13,2 millions de personnes supplémentaires pour un total de 56,5 millions en 2021. L’Équateur ne fait pas exception : en 2020, c’est plus de 30 % de la population qui vit sous le seuil de pauvreté nationale[1]. Le pays est riche en ressources mais celles-ci, limitées aux matières premières et majoritairement tournées vers l’export, ne profitent pas aux Équatoriens : 79 % des exportations proviennent du pétrole et des produits de l’agriculture, et profitent surtout aux États-Unis (qui monopolisent 24 % des exportations) et à la Chine (15 % des exportations, le double par rapport à 2018). Cette compétition exacerbée entre impérialistes est un facteur de déstabilisation important, le pays est dépendant des importations de produits et d’équipements pour son industrie, écartant toute possibilité de développement. Pour couronner le tout, cette exploitation commerciale s’accompagne d’une véritable asphyxie des finances à coup de prêts. Ces « aides » sont octroyées « généreusement » par le FMI[2], le dernier datant de 2020 pour un montant de 6,5 milliards de dollars. Loin d’être cédés à titre gracieux (ils devront bien sûr être remboursés), ces prêts représentent un instrument important de la politique impérialiste états-unienne avec bien souvent des contreparties économiques. À leur sujet, le Président Mao disait : « De l’argent, disent-ils, on peut vous en donner, mais il y a une condition. Laquelle ? Marcher avec nous. » Voilà qui illustre bien la réalité de ces prêts peu importe leur provenance.

« Marcher avec nous » : la classe dirigeante équatorienne a dit oui. La bourgeoisie compradore[3] y est au pouvoir avec la figure de Guillermo Lasso, dont le mandat prendra fin en octobre. Cet ancien banquier a signé en mai dernier un décret permettant des exonérations fiscales pour les investissements étrangers, au motif de « transformer positivement le commerce local et international ». Il organise en fait ni plus ni moins que le pillage de son pays par les grands monopoles internationaux. Accusé de détournement d’argent public au profit de contrats de transport pétrolier, il n’avait pas hésité dans la foulée à dissoudre le parlement, convoquant des élections anticipées dans l’espoir d’empêcher sa destitution, même s’il a finalement choisi de ne pas se représenter. Toutefois, l’utilisation de cette procédure particulière aura été une première, mais pas si étonnante au vu du chaos démocratique en Équateur. Le cirque électoral y est animé par la contradiction entre la bourgeoisie compradore et la bourgeoisie nationale, qui s’est fortement accentuée ces dernières décennies au fil des différents mandats, entre corruption par les gangs, interventionnisme impérialiste, fausses promesses des réformistes… Les masses équatoriennes demeurent encore et toujours les grandes perdantes de ce jeu truqué.

L’assassinat de Villavicencio est donc le produit d’une crise démocratique profonde. Lasso en a profité pour lancer un appel au vote en disant que c’est « la meilleure raison de voter et de défendre la démocratie ». Cette classe corrompue maintient son pouvoir en s’appuyant sur les urnes : nul changement ne pourra advenir par ces dernières. Quant à l’impérialisme états-unien, il espère encore utiliser l’argument de l’insécurité pour légitimer l’installation de bases militaires. Mais les Équatoriens ne sont pas dupes, seule l’obligation électorale maintient artificiellement les chiffres de participation et déjà des appels au boycott retentissent !


[1] Selon l’Organisation des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture et la Banque

Mondiale. Selon elle, au total, plus de 131 millions de personnes n’ont pas les moyens d’accéder à une alimentation saine en Amérique du Sud.

[2] Fonds Monétaire International.

[3] Dans un pays dominé, c’est la classe bourgeoise au service des impérialistes étrangers.

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