En France, à l’été 2023, le gouvernement a annoncé faire un chèque de 200 millions d’euros au lobby du vin pour qu’il… détruise ses stocks de bouteilles[1]. Cette dépense étrange, qui équivaut au budget des Restos du Cœur, n’est pas anodine. Elle nous rappelle que le régime capitaliste est, de façon unique dans l’Histoire, un mode de production qui ne produit pas pour des besoins, mais surproduit pour sa propre logique.
1) Les crises de la production capitaliste et leur impact sur nos vies
Pourquoi les industriels ont-ils besoin de détruire leurs bouteilles de vin ?
Pour le comprendre, il faut se rendre compte du fonctionnement de l’économie capitaliste. La contradiction basique de cette économie, c’est que la production est sociale, et l’appropriation est privée. Cela veut dire que la majorité de la population travaille pour produire des biens et des services pour un marché anonyme, social. On ne cultive plus les légumes qu’on mange, on les achète et toute la réalité de la production nous échappe. Le produit du travail est approprié par les propriétaires de l’entreprise pour laquelle on travaille : les capitalistes.
Ces capitalistes fonctionnent indépendamment les uns les autres, chacun cherchant à conquérir le marché de l’autre, à s’étendre, à devenir le monopole. On appelle ce fonctionnement l’anarchie de la production. La production capitaliste cherche à reproduire et accumuler de la plus-value, elle utilise pour ça le profit comme indicateur.
Une fois ces aspects clarifiés, on peut mieux comprendre la question des crises. Elles commencent par nous permettre de comprendre que les crises ne tombent pas de nulle part. Derrière les chiffres qui montent et qui descendent, les courbes qui mystifient l’économie et la finance, il y a le capital. Et le capital, comme nous l’avons vu, ce n’est pas une relation entre des choses figées, c’est une relation sociale, entre des gens : des capitalistes, des prolétaires… L’anarchie de la production, par exemple, c’est le conflit entre les capitalistes de Leclerc et de Carrefour, pas simplement des chiffres sur un ordinateur.
Par conséquent, les crises, elles aussi, proviennent de cette relation sociale entre des gens, pas des choses comme le manque de matières premières ou d’usines. Il n’y a pas, d’un côté, « l’économie réelle » qui serait saine, et « l’économie financière » qui serait spéculative, cupide et mènerait aux crises. Tout le capitalisme, pris dans son ensemble, est un système qui mène aux crises.
Karl Marx, dans son œuvre Le Capital, décrit le capitalisme comme une unité de contraires entre la production et la circulation. Que se passe-t-il dans la production lors des crises ? De la surproduction. Dès 1847, le constat était clair dans le Manifeste du Parti Communiste : « Ces crises détruisent régulièrement une grande partie non seulement des produits fabriqués, mais même des forces productives déjà créées. Au cours des crises, une épidémie qui, à toute autre époque, eût semblé une absurdité, s’abat sur la société – l’épidémie de la surproduction. ».
La question qui suit logiquement est : que se passe-t-il dans la circulation maintenant qu’il y a surproduction ? Surproduction de quoi, ça n’a pas d’importance : aujourd’hui en 2023, il n’y a pas que le vin qui soit dans cette spirale infernale. En effet, le secteur du vêtement surproduit à hauteur de 10 % à 40 % selon les branches, et toute la surproduction conduirait au moins à 163 milliards de pertes annuelles[2].
Cette surproduction doit s’écouler dans la circulation. La circulation se fait par l’intermédiaire de la monnaie : elle s’échange contre des marchandises tous les jours.
Marx écrit dans le Capital : « La fonction de la monnaie comme moyen de payement implique une contradiction sans moyen terme. Tant que les payements se balancent, elle fonctionne seulement d’une manière idéale, comme monnaie de compte et mesure des valeurs. Dès que les payements doivent s’effectuer réellement, elle ne se présente plus comme simple moyen de circulation, comme forme transitive servant d’intermédiaire au déplacement des produits, mais elle intervient comme incarnation individuelle du travail social, seule réalisation de la valeur d’échange, marchandise absolue. Cette contradiction éclate dans le moment des crises industrielles ou commerciales auquel on a donné le nom de crise monétaire.
Elle ne se produit que là où l’enchaînement des payements et un système artificiel destiné à les compenser réciproquement se sont développés. Ce mécanisme vient-il, par une cause quelconque, à être dérangé, aussitôt la monnaie, par un revirement brusque et sans transition, ne fonctionne plus sous sa forme purement idéale de monnaie de compte. Elle est réclamée comme argent comptant et ne peut plus être remplacée par des marchandises profanes. »
A notre époque, le mécanisme qui est décrit ici est très développé : le crédit est une forme basique de l’économie, présente à tous les niveaux, des États aux banques. Lorsqu’il y a crise, que la surproduction arrive sur le marché, tout se contracte. La monnaie manque pour faire circuler tous ces produits, la bulle explose, et d’un coup, plus personne ne veut boire du vin ! Enfin, ça, c’est la version du capitaliste qui veut récupérer son investissement, qui soudain panique car les prix des matières premières grimpent et que plus personne n’achète son vin. Après avoir cherché à s’étendre à tous les marchés du monde, il perd tout et accuse la « sous-consommation ».
Friedrich Engels, qui a travaillé d’arrache-pied avec Marx, explique dans l’Anti-Dühring : « L’énorme force d’expansion de la grande industrie, à côté de laquelle celle des gaz est un véritable jeu d’enfant, se manifeste à nous maintenant comme un besoin d’expansion qualitatif et quantitatif, qui se rit de toute contre-pression. La contre-pression est constituée par la consommation, le débouché, les marchés pour les produits de la grande industrie. Mais la possibilité d’expansion des marchés, extensive aussi bien qu’intensive, est dominée en premier lieu par des lois toutes différentes, dont l’action est beaucoup moins énergique. L’expansion des marchés ne peut pas aller de pair avec l’expansion de la production. La collision est inéluctable et comme elle ne peut pas engendrer de solution tant qu’elle ne fait pas éclater le mode de production capitaliste lui-même, elle devient périodique. La production capitaliste engendre un nouveau « cercle vicieux ».
On voit, dans les crises, la contradiction entre production sociale et appropriation capitaliste arriver à l’explosion violente. La circulation des marchandises est momentanément anéantie ; le moyen de circulation, l’argent, devient obstacle à la circulation ; toutes les lois de la production et de la circulation des marchandises sont mises sens dessus sens dessous. La collision économique atteint son maximum : le mode de production se rebelle contre le mode d’échange, les forces productives se rebellent contre le mode de production pour lequel elles sont devenues trop grandes. »
Autrement dit, voilà 175 ans que, périodiquement, le capitalisme détruit les forces productives qu’il a lui-même créé afin de maintenir un mode de production qui permet à quelques-uns de profiter de l’immense production sociale des autres. Pour qu’il y ait des yachts et des jets privés, il faut que 50 % des jeunes en France aient des difficultés à manger et s’habiller dignement[3]. Pour qu’il y ait du vin à détruire, il faut que la faim et la soif tuent plus de 10 millions de personnes par an[4]. Le chômage, l’inflation galopante, la crise du logement, tous ces résultats de la crise trouvent leur origine dans les contradictions basiques du capitalisme.
2) La crise générale de l’impérialisme pourrissant
Nous vivons aujourd’hui dans la période que le révolutionnaire Lénine a qualifié « d’impérialisme ». A notre époque, le capitalisme n’est pas un phénomène isolé à quelques pays. Quand le marché de l’immobilier éternue aux USA, le monde entier attrape la crève : on peut se rappeler de la crise de 2007-8 qui avait lancé une série de chocs, comme par exemple la crise de la dette en Europe.
La crise dans laquelle nous vivons n’est pas simplement une crise économique. Elle n’a pas été causée, accidentellement, par la pandémie de COVID. Elle se profilait depuis 2019, avec la guerre commerciale entre USA et Chine par exemple. L’extension fabuleuse de la dette entre 2020 et 2021, pour financer les États et l’économie, est payée aujourd’hui par les masses dans chaque panier de courses qui permet aux monopoles d’arrondir leurs marges. Les ministres ont beau dire que « ça se calme », le rééquilibrage entre les prix et les salaires est bien en défaveur des prolétaires, et en faveur des bourgeois.
Mais il faut prendre du recul. La crise de l’impérialisme est générale. Elle concerne de multiples aspects, de sa base économique à ses expressions sociales, politiques, culturelles, environnementales, militaires etc. De plus, cette crise se spécifie de façon différente à chaque pays, et particulièrement entre les pays impérialistes et les pays opprimés. Là où la crise veut dire se serrer la ceinture en France, elle peut signifier la famine ou la mort au Congo ou au Soudan. Depuis les années 1980, c’est la norme de l’impérialisme : pas un cycle de destruction puis de production galopante, mais une crise économique qui revient alors même que les effets de la précédente ne sont pas réglés.
3) Une production pour les besoins, pas seulement une redistribution
Pour résoudre le problème du mode de production capitaliste, il ne suffit pas de redistribuer, comme le prétendent les économistes capitalistes « de gauche » qui veulent des grands investissements d’État ou une « planification écologique ». Bien qu’il y ait de plus en plus d’inégalités et un fossé grandissant, c’est le propre même du capitalisme à son stade impérialiste, on ne peut pas l’accommoder.
Engels écrivait : « Quant à attendre du mode de production capitaliste une autre répartition des produits, ce serait demander aux électrodes d’une batterie qu’elles ne décomposent pas l’eau et qu’elles ne développent pas de l’oxygène au pôle positif et de l’hydrogène au pôle négatif alors qu’elles sont branchées sur la batterie. »
Le socialisme, au contraire, permettra de régler le problème à la base, en mettant les besoins du peuple comme indicateur de la production, permettant de se débarrasser des crises économiques, de la montée des prix, du chômage, des logements chers… Seul le prolétariat peut diriger cette société.
Et comme le capital est une relation sociale, un rapport entre des gens, la crise rappelle donc sans cesse au prolétariat qu’il faut briser le pouvoir de la bourgeoisie, qui maintient son colosse aux pieds d’argile qui déchaîne la barbarie.
Sa production effrénée pour exploiter davantage n’est pas une fatalité. En se détruisant lui-même lors de la crise, l’impérialisme montre qu’il n’est qu’un déchet, un produit de l’histoire ancienne, qu’il faut balayer. Mais comme tout balais, il faut une force pour le manier. Cette force, c’est le prolétariat international et toutes les masses populaires au sein de la Révolution Prolétarienne Mondiale.
[1]Le Figaro « Une subvention de 200 millions d’euros pour… détruire du vin ».
[2]Fondation Avery Danison
[3]Secours Populaire
[4]ONU, Le Figaro