Le Mouvement national Kanak fait face au dégel du corps électoral

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Nous y sommes. 26 ans après les accords de paix de Nouméa, passés entre l’État français et le FLNKS1, le processus institutionnel de « décolonisation » est arrivé à son terme. En 1998, contre la fin de la lutte armée dans l’archipel, l’État colonial s’est engagé à concéder une certaine autonomie à la « Nouvelle-Calédonie », ainsi qu’à organiser une série de trois référendums d’autodétermination, le tout avec un « gel » du corps électoral sur l’archipel, pour prévenir un afflux de colons issus de la métropole qui biaiserait les résultats des suffrages. Tenus en 2018, 2020 et 2021, les référendums ont tous abouti au « non » à l’indépendance, notamment par le déséquilibre démographique évident entre la population kanak et les colons. A l’issue du premier référendum, le « non » l’emporte à 56,4 % des voix ; lors du deuxième référendum, l’écart se resserre, mais le « non » l’emporte à 53,26 % des voix. Le peuple Kanak ne représente aujourd’hui que 41 % de la population totale du pays, bien que majoritaire dans deux des trois provinces (province nord et îles loyauté). Le dernier référendum, boycotté par le peuple Kanak, a scellé pour l’État colonial un avenir français à l’archipel, avec 96,5 % de « non » à l’indépendance et 56 % d’abstention.

Colonisation et naissance du Mouvement national kanak

La Kanaky (Nouvelle-Calédonnie) est un archipel du pacifique-sud, conquis par la France en 1853. La colonisation de peuplement débute avec la déportation massive de prisonniers français, notamment suite à la Commune de Paris, puis une colonisation économique avec l’exploitation de terres et du nickel, les kanaks étant parqués dans des « réserves », avec des terres moins riches, politique accélérée après la Grande révolte kanak de 1878.

Combattants Kanaks en 1878, sur la "Grande terre".
Combattants Kanaks en 1878, sur la « Grande terre ».

Le Mouvement national kanak contemporain émerge dans les années 1970, alors que l’État impérialiste français mène toujours une politique de colonisation de peuplement. Le premier ministre français, Pierre Messmer, disait en 1972 que : « La présence française en Calédonie ne peut être menacée, sauf guerre mondiale, que par une revendication nationaliste des populations autochtones appuyées par quelques alliés éventuels dans d’autres communautés ethniques venant du Pacifique. À court et moyen terme, l’immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements d’outre-mer (Réunion) devrait permettre d’éviter ce danger en maintenant et en améliorant le rapport numérique des communautés. À long terme, la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire. »

La lutte armée pour la libération kanak

En 1969, les Foulards Rouges, fondés par Nidoïsh Naisseline (référence à Louise Michel, alliée des indépendantistes, déportée de la Commune), portent les revendications de l’identité kanak et de l’indépendance. Ils fondent en 1975 le Parti de libération kanak (Palika). Deux ans plus tard est fondé le Front uni de libération kanak (FULK), partisan de la lutte indépendantiste armée et représentant alors la gauche du Mouvement national kanak avec le Palika. L’ensemble du mouvement indépendantiste se regroupe en coalition à partir de 1979 dans le Front indépendantiste (FI). A la suite d’alliances de circonstances, le mouvement indépendantiste obtient la direction du gouvernement de l’archipel en 1981, sans avancées significatives. Cette expérience aboutit à la dissolution du FI et la fondation du FLNKS en 1984, à la ligne plus combative, et la naissance de la lutte armée anticoloniale sur l’archipel, inaugurée par le meurtre de deux gendarmes l’année précédente. Des jeunes indépendantistes sont alors formés à la lutte armée en Libye et le FLNKS naissant organise le boycott des élections.

L’insurrection débute avec le boycott électoral, en novembre 1984. Des barrages routiers sont mis en place et le FLNKS contrôle la majorité de la « brousse » (partie rurale) de la Grande terre via ses « Comités de lutte » dans chaque Commune. Les écoles françaises sont boycottées et le Mouvement national fonde des « écoles populaires » dans les zones qu’il contrôle. Le leader indépendantiste Éloi Machoro, qui avait symboliquement lancé l’insurrection en brisant une urne, est tué par le GIGN en janvier. Les affrontements, incendies, sabotages, grèves et manifestations se déroulent toute l’année durant et les autorités coloniales instaurent l’état d’urgence en janvier 1985. Les kanaks procèdent aussi à des saisies de terres, contre les grands propriétaires français. L’année suivante, comptant sur le soutien des États non-alignés, les Nations Unies reconnaissent le droit à l’autodétermination du peuple kanak et inscrivent la « Nouvelle-Calédonie » comme territoire non autonome, à décoloniser. En 1987, un premier référendum d’autodétermination est organisé, boycotté par les Kanaks. Se tiennent ensuite les élections régionales de 1988, avec un nouvel appel au boycott. Cette fois-ci, le FLNK attaque une gendarmerie à Ouvéa, tue 4 gendarmes et en prend 27 en otage, revendiquant l’annulation des élections et le départ des forces d’occupation. Sur décision de François Mitterrand et Jacques Chirac, l’assaut est donné, et les combattants kanaks sont massacrés.

Barrage routier tenu par des militants du FLNKS, le 1er novembre 1984, sur la Grande terre.
Barrage routier tenu par des militants du FLNKS, le 1er novembre 1984, sur la Grande terre.
Une manifestation kanak fait face à la police coloniale.
Une manifestation kanak fait face à la police coloniale.
Le combattant kanak Éloi Machoro
Le combattant kanak Éloi Machoro
Combattants kanaks armés, le 27 avril 1988.
Combattants kanaks armés, le 27 avril 1988.

La politique de conciliation met la lutte indépendantiste dans l’impasse

A la suite des « événements », comme l’État impérialiste appelle la lutte armée kanak, la direction du FLNKS a opéré un virage à droite. Les accords de Matignon de 1988, conclu entre l’État, les colons et le FLNKS, interdisent tout procès pour la mort des dix-neuf combattants Kanaks du massacre d’Ouvéa et préparent le futur statut du territoire.

Au sein du FLNKS, seul le FULK s’oppose à la signature des accords de Matignon, disant avoir avec eux le soutien de la base, et appellent à voter « non » au référendum ouvrant le chemin institutionnel. Le FULK, qui dénonce une « connivence » entre le FLNKS et l’État, ne prendra plus part aux instances de la coalition et à la politique institutionnelle de l’archipel. Pour avoir ratifié ces accords au nom du FLNKS, les dirigeants de l’Union Calédonienne Jean-Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné sont assassinés par un membre du FULK, lors du premier anniversaire du Massacre d’Ouvéa. L’accord de Nouméa de 1998 remet la lutte pour l’indépendance dans les trois référendums ici perdus, selon les règles de l’État impérialiste français.

En 1988, l’Agence kanak de presse (du FLNKS), revenant sur le rejet du FULK des accords de Matignon, concluait par ces mots : « l’Histoire jugera ». Trente-six ans après le dépôt des armes, l’État colonial français s’apprête à ouvrir le corps électoral pour isoler et minorer d’autant plus le peuple Kanak, qui dès à présent manifeste et se mobilise en nombre. Le gouvernement vise la réforme constitutionnelle pour cet été, déjà adoptée par le Sénat.

Le 13 avril 2024, 58 000 personnes manifestent contre le dégel du corps électoral, à Nouméa.
Le 13 avril 2024, 58 000 personnes manifestent contre le dégel du corps électoral, à Nouméa.
Blocage d'un site minier à Canala, le 11 avril 2024, pour protester contre le "Pacte nickel".
Blocage d’un site minier à Canala, le 11 avril 2024, pour protester contre le « Pacte nickel ».

Aujourd’hui, l’archipel sert d’avant-poste pour l’impérialisme français dans le nœud mondial du Pacifique, alors qu’il poursuit le pillage du territoire. L’archipel contient de grandes réserves de nickel et l’État tente de reprendre le contrôle de la production avec un « pacte nickel » qu’il espérait signer au mois de mars avec le gouvernement indépendantiste, renforçant la dépendance aux capitaux français. Depuis, les sites miniers connaissent des blocages et la pression politique ne redescend pas. Le chemin de la libération est long et sinueux, mais la voie de la révolution semble être aujourd’hui le seul parcours crédible pour le peuple Kanak.

1 Front de libération national kanak et socialiste (FLNKS), coalition rassemblant les principales forces indépendantistes de l’archipel. La coalition est actuellement au pouvoir en Kanaky (« Nouvelle Calédonnie »), le gouvernement local étant présidé par Louis Mapou, de l’Union Calédonienne, depuis 2021.

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