Cet article est une traduction du site brésilien « A Nova Democracia » (16 janvier 2023).
La Bolsonarada du 8 janvier continue d’avoir de graves répercussions. Le projet de décret de l’État de Défense qui serait signé par Bolsonaro lorsqu’il était président, trouvé au domicile de l’ancien ministre de la justice Anderson Torres – le même qui a ouvertement fait envahir le siège des Trois Pouvoirs – explique deux choses : premièrement, que tous les discours de Bolsonaro avant et pendant les élections, les blocages de routes, les actions armées de l’extrême droite après l’annonce du résultat, etc. correspondaient à un plan selon lequel, s’il ne remportait pas les élections, il signerait un tel décret avant l’investiture de son adversaire, ce qui n’a pas été fait car le haut commandement des forces armées (ACFA) n’est pas favorable à une rupture institutionnelle en ce moment. On sait que l’ancien président a eu plusieurs réunions avec l’ACFA après l’élection, et qu’il est sorti de toutes ces rencontres en colère. Ensuite, on sait que les campements aux portes des casernes à travers le pays ont permis de connaître la position de l’ACFA. Même la famille du général à la retraite et ancien commandant de l’armée Eduardo Villas-Boas a été impliquée dans l’organisation du campement devant le siège de l’armée dans la capitale fédérale, qui a reçu la visite du même général. C’est pourquoi les généraux ont ouvertement défendu que les campements étaient des « manifestations démocratiques » et un « droit à la liberté d’expression ».
Les campements sont le moyen choisi par l’ACFA, qui manipule les bolsonaristes et les utilise comme chair à canon, pour promouvoir une « émeute » et faire comprendre au nouveau gouvernement ce dont il est capable, et que les militaires sont, en réalité, le « pouvoir modérateur ». Ce n’est pour aucune autre raison qu’en plein milieu de l’intervention fédérale dans le domaine de la sécurité publique dans le district fédéral, au milieu des enquêtes et des interrogatoires des manifestants, et du décret d’arrestation d’Anderson Torres, le président de la république Luiz Inácio a déclaré, dans une interview avec des journalistes, que « les forces armées ne sont pas le pouvoir modérateur qu’elles pensent être ». Mais les participants à l’assaut du siège des « Trois Pouvoirs », en particulier ses organisateurs, face à l’isolement et au silence de Bolsonaro, étaient convaincus qu’en réalisant la conquête de ces sièges, le prochain acte serait une intervention militaire et cela circulait à l’époque sur les « réseaux sociaux » entre différents bolsonaristes.
Pour sa part, le gouvernement opportuniste doit expliquer à la population pourquoi il a laissé ces locaux si peu protégés, en particulier le Palais du Planalto, et pourquoi, après la marche des manifestants vers l’Esplanade des ministères et même avec les intrusions, il n’a pas activé le soi-disant « Plan Bouclier » [1], dont le PT et ses acolytes sont parfaitement capables. On sait déjà que le Cabinet de sécurité institutionnelle (GSI), dirigé par le général Gonçalves Dias, a été informé par l’Agence brésilienne de renseignement (Abin) du risque d’invasion des sites. La directive de renforcer la sécurité a non seulement été solennellement ignorée par les militaires, mais il est également remonté du GSI l’ordre écrit de congédier 36 soldats du Bataillon de la Garde Présidentielle (BGP) 20 heures avant l’attaque des « poulets verts », laissant un contingent ridicule mobilisé et ne portant que des fusils avec des munitions de guerre, c’est-à-dire dans l’incapacité de répondre à l’invasion.
Il est également apparu que le commandant du BGP a tenté d’aider la bande à s’échapper par la sortie de secours du Planalto, et s’est même disputé avec les députés. Comme si cela ne suffisait pas, il existe des images vidéo montrant le BGP demeurant apathique alors que les fascistes s’approchaient du Planalto. Pour couronner le tout, cette nuit-là, la police militaire, devant le QG de Brasilia, a empêché l’arrestation des bolsonaristas qui campaient près du MP, bloquant les accès avec le stationnement de chars de guerre.
Il ne s’agit donc pas de faits isolés, ni d’insubordinations individuelles. L’ACFA a permis et contribué, de manière délibérée et planifiée, à ce que les occupations se produisent le 8, avec la mobilisation des bolsonaristes, et l’a encouragé pendant des mois, de manière active et tacite, avec des actes, des déclarations – remettant en question la régularité des élections et définissant l’offensive des bolsonaristes de manifestations démocratiques – et même en offrant des installations militaires et une structure logistique – de manière plus ou moins cachée – pour installer les camps.
Ce mouvement anticommuniste d’extrême droite veut le coup d’État militaire à tout prix, mais il ne peut jouer que le rôle de pion entre les mains des généraux. Ce que veut l’ACFA, en utilisant de telles méthodes, en premier lieu, c’est faire comprendre au nouveau gouvernement de ne pas contester son rôle de « pouvoir modérateur » et, en général, continuer à bousculer le terrain politique et institutionnel, afin, si nécessaire, de créer le « chaos social » sur lequel ils annoncent depuis 2015 qu’ils vont intervenir.
Tout en favorisant de manière dissimulée la Bolsonarada – ou ouvertement, dans le cas des généraux de réserve, en particulier Villas-Bôas -, l’ACFA transmet le message suivant à l’opinion publique : « voilà ce qui arrive avec l’élection d’un gauchiste corrompu, dans un procédé dont nous ne certifions pas la régularité, dont la cour électorale a pris la tête du pays, déséquilibrant l’indépendance des trois pouvoirs, jetant la société brésilienne dans le chaos et le désordre ; c’est pourquoi la société demande une intervention militaire et nous sommes les garants des pouvoirs institués ». C’est ce que l’ACFA est en train de mettre au point. Objectivement, Bolsonaro et les « poulets verts » sont de la chair à canon dans le plan de l’ACFA, c’est la vérité. En ce sens, la deuxième Bolsonarada – le 8 – n’était qu’un avertissement.
Pourquoi ? Parce que l’ACFA, qui est la colonne vertébrale de ce vieil ordre, sait qu’il devra agir comme un corps entier, puisque le vieil ordre ne peut pas se maintenir. Le capitalisme bureaucratique et son vieil État sont sérieusement menacés par une situation révolutionnaire qui se développe à pas de géant. Ceux d’en haut ne se comprennent pas, ceux d’en bas n’acceptent plus la domination comme avant, et bien que la plus petite partie de ceux-ci se berce encore d’illusions à travers la farce électorale, la partie plus consciente et organisée prépare la révolution. Après huit ans de tentatives, menacés par le danger de la subversion, les généraux sont de plus en plus convaincus qu’il ne sera pas possible de mener à bien les trois tâches réactionnaires avec le système politique agonisant actuel. La situation se rapproche de son dénouement.
Un autre aspect est de savoir comment résister à cette offensive préventive contre-révolutionnaire sous la forme d’un coup d’État militaire qui se prépare.
En premier lieu, le fait que ce qui s’est passé à Brasilia n’a suscité qu’une vague d’antipathie dans les masses de base vis-à-vis de ce qui s’est passé est un signe que la défense de ces institutions, qui massacrent et trompent les masses depuis 30 ans, n’est absolument pas susceptible de les mobiliser sur le terrain de la défense des libertés démocratiques et contre les coups d’État. Persister dans cette voie, c’est livrer les masses aux fascistes.
Deuxièmement, le gouvernement actuel de la coalition réactionnaire – malgré les fanfaronnades de Luiz Inácio à propos des militaires – construit son château sur des sables mouvants, car il pense que les lois et le soutien politico-institutionnel peuvent à eux seuls arrêter la marche vers le coup d’État. Il sous-estime dangereusement la situation du pays et du monde. Le siècle actuel n’est pas le siècle de la « démocratie » et de la « paix institutionnelle » comme le prétendent la droite et les opportunistes ; se trouvant à l’époque de la décomposition la plus avancée et sans précédent de l’impérialisme, il est et sera précisément le siècle de la réaction fasciste et de la restriction généralisée des libertés, car une nouvelle période de révolutions s’est ouverte dans l’histoire mondiale et, quelle que soit la radicalité du fascisme, le mouvement révolutionnaire se développera dans le monde entier, et rien ne pourra arrêter son éruption et sa croissance. Le Brésil sera inévitablement l’une de ses principales scènes de déferlements.
Dans cette fiction constitutionnelle, le nouveau gouvernement croit qu’il a uni les forces et les institutions politiques, et qu’il sera désormais en mesure de passer à l’offensive et de « soumettre le pouvoir militaire ». En réalité, le nouveau gouvernement est plus faible que jamais et est piégé, car il ne dispose pas de forces matérielles fiables, puisqu’il ne les a pas construites au cours des années de collaboration de classe ; et s’il radicalise les mouvements sociaux cooptés, cela sera utilisé par l’ACFA pour créer un terrain encore plus favorable pour se lancer dans la phase ultime du coup d’État.
Face à cela, il n’y a pas d’autre issue : les masses ne peuvent garantir leurs intérêts fondamentaux – droits au travail et à la retraite, services publics et conditions minimales de survie – et leurs droits et libertés démocratiques qu’à travers la lutte révolutionnaire, c’est-à-dire en construisant le Pouvoir Populaire, pas à pas et au milieu des combats les plus graves de la lutte des classes, dont tout montre qu’elle a pris le chemin inévitable de la violence politique. Cela exige une direction cohérente, et non une direction d’opportunistes endurcis et de sociaux-démocrates bureaucratiques à la langue bien pendue, qui doivent être démasqués devant les masses. L’ordre du jour est le suivant : combattre l’offensive contre-révolutionnaire du coup d’État, briser les illusions constitutionnelles et lever la bannière de la révolution de la nouvelle démocratie.
1- Plano Escudo (Plan Bouclier) : dans un article du journal Estado de São Paulo, le journaliste Marcelo Godoy informe qu’il s’agit du protocole de sécurité présidentiel en cas de menace sur la zone de la Praça dos Três Poderes (Place des Trois Pouvoirs) ; il appartient au Cabinet de Sécurité Institutionnelle de la Présidence de l’activer.