Échec et mat pour l’armée française au Burkina Faso

A partir du 22 février, la France devra avoir retiré ses troupes du Burkina Faso, suite à la demande du gouvernement du pays. C’est la fin d’une présence historique de l’armée sur le territoire, et un énième revers au Sahel pour les intérêts impérialistes français.

23 janvier : le gouvernement du Burkina Faso exige le retrait de l’armée française de son territoire. S’en suivent 48 heures d’un déni douloureux pour Emmanuel Macron, qui demande pendant plusieurs heures des « clarifications » au président Ibrahim Traoré. Rien à faire : le cauchemar de Macron se réalise, le gouvernement français cède. Le ministère des Affaires étrangères annonce que les forces spéciales françaises Sabre1, présentes depuis 2009 à Kamboinsin2, vont plier bagage sous un mois. Un coup dur pour l’impérialisme français, pourtant prévisible : tous les signes étaient là depuis plusieurs mois.

« Dehors les diplomates pyromanes »

Tous les signes étaient là depuis plusieurs mois : en novembre 2021, un convoi des forces françaises Barkhane est bloqué à Kaya. Deux mois plus tard, en janvier 2022, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba réussit un coup d’État, soutenu (discrètement) par la France. Les rues des grandes villes du pays sont alors envahies de manifestants demandant le départ des forces françaises. En octobre dernier, alors que le capitaine Ibrahim Traoré, un autre militaire burkinabé, effectue le deuxième coup d’État de l’année dans le pays, c’est l’ambassade de France qui est attaquée. Les manifestants demandent encore une fois l’annulation des accords de défense et de sécurité entre les deux pays. Puis en décembre et janvier, c’est autour de la figure même de l’ambassadeur de France au Burkina Faso que se cristallisent les tensions. Des milliers de manifestants marchent dans Ouagadougou à l’appel du Collectif des leaders panafricains (CLP), et demandent le départ de l’ambassadeur Luc Hallade, ainsi que la fermeture de la base de l’armée française à Kamboinsin. Dans la foule, on trouve les pancartes suivantes : « Armée française, dégage de chez nous », « France dégage », ou encore « Dehors les diplomates pyromanes ». Des posters géants des présidents malien Assimi Goïta et guinéen Mamadi Doumbouya, arrivés au pouvoir comme le capitaine Traoré grâce à des coups d’État, ainsi que celui du président russe Vladimir Poutine, sont également brandis au milieu des drapeaux burkinabè. L’inquiétude française se fait déjà sentir à ce moment-là : le 10 janvier, la secrétaire d’État auprès de la ministre des Affaires étrangères est envoyée à Ouagadougou par le gouvernement français pour une rencontre avec le président Traoré. L’impérialisme français est sur la défensive, et tente de rassurer par les mots : « La France n’impose rien, elle est disponible pour inventer un avenir ensemble. (…) Personne ne peut dicter ses choix au Burkina. » Peine perdue !

Le mécontentement de l’état-major

Les Burkinabés ont bien compris que l’ancien colon n’est là que pour ses propres intérêts, militaires comme économiques. Sur le premier aspect, la présence française en Afrique est stratégique : la France et les semi-colonies3 concernées la justifient par la lutte contre le terrorisme jihadiste. Le Mali avait par exemple « accueilli » les militaires français de l’opération Barkhane à partir de 2013, avant de les conduire vers la sortie du territoire début 2022. Au Burkina Faso, Sabre était présente depuis 2018. Et si la population exprime depuis de nombreux mois son mécontentement vis-à-vis de la présence française, la force spéciale a même réussi à se mettre à dos l’état-major burkinabé ! En cause : de nombreux vols non déclarés de la part de l’aviation de l’armée française ; et lorsque les plans de vols étaient fournis, ils étaient rarement respectés. Des soupçons concernant l’existence d’une piste d’atterrissage secrète avaient échauffé les esprits et mené à l’ouverture d’une enquête. L’une des premières décisions de la junte d’Ibrahim Traoré, lors de sa prise de pouvoir en octobre 2022, a d’ailleurs été de clouer au sol l’aviation militaire française. Autre sujet de tension : le sort réservé aux prisonniers faits par l’opération Sabre dans le cadre de la lutte contre les groupes jihadistes. Les militaires burkinabés reprochaient aux militaires français d’interpeler des citoyens et de les auditionner avant même de les avoir remis aux autorités du pays. Alors même que le Burkina Faso connaît une recrudescence de la violence ces derniers mois4, l’argument de la lutte contre le terrorisme ne suffit plus : les masses burkinabés en ont assez, et la junte au pouvoir également.

L’enjeu de l’exploitation des mines d’or

Une lutte de libération nationale, donc ? Loin de là : Ibrahim Traoré a beau se revendiquer comme l’héritier de Thomas Sankara, ses nouvelles alliances démontrent le contraire. Les soupçons autour d’un rapprochement avec la Russie remontent à plusieurs mois. Le 7 décembre, un mystérieux changement d’agenda du Premier Ministre burkinabé suscite l’interrogation. Il se rend à Moscou où il reste huit jours. Le but du voyage demeure secret mais au lendemain de son retour, le Burkina Faso décide d’octroyer le permis d’exploitation d’une nouvelle mine d’or à la société russe Nordgold, selon un compte-rendu du conseil des ministres. Prévu pour une durée de 4 ans, ce permis devrait permettre la production de 2,53 tonnes d’or, soit l’équivalent de 140 millions d’euros. Avec environ 70 tonnes par an et 17 mines industrielles, la production d’or est devenue en une douzaine d’années le premier produit d’exportation du Burkina Faso, devant le coton. C’est donc évidemment l’enjeu économique central derrière la présence militaire française, mais aussi russe, dans le pays. Nordgold exploite déjà trois gisements dans le nord du Burkina Faso, particulièrement en proie aux violences jihadistes depuis 2015. Au mois d’avril 2022, le groupe russe avait annoncé l’arrêt pour « raisons de sécurité » de la mine de Taparko. Or, Ibrahim Traoré s’est donné pour objectif « la reconquête du territoire occupé par ces hordes de terroristes » : « Nous sommes là pour une mission, c’est la sécurité, c’est la mission première. » Il prétend ainsi placer la sécurité du peuple burkinabé au premier plan, alors même que les armées nationales sont connues pour leurs crimes de guerre en Afrique. Les partenariats recherchés par le capitaine Traoré sont donc d’ordre militaire : « [il faut qu’on] nous permette de pouvoir nous équiper et faire la guerre, parce qu’on ne va pas s’asseoir et regarder notre peuple mourir, ça jamais ! » En réalité, l’enjeu derrière la sécurisation du pays, c’est l’exploitation des mines d’or et du reste de l’économie, que ce soit par la France ou par la Russie. Et pour cela, Traoré n’hésite pas à jouer avec les alliances : en éjectant la France et en s’alliant avec les Russes, il s’assure le soutien de l’opinion publique. Mais il ne fait que remplacer un impérialisme par un autre.

1 Cette unité opérationnelle interarmées de 350 militaires constitue le déploiement le plus important de forces spéciales hors de France.

2 À une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Ouagadougou.

3 Une semi-colonie est un pays officiellement indépendant mais sous la domination économique et politique d’un autre État.

4 Les attaques des groupes liés à Al-Qaïda et à l’État islamique y ont fait des milliers de morts et 2 millions de déplacés depuis 2015. Ces groupes occupent environ 40 % du territoire burkinabè.

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