Cette série québécoise de Florence Longpré nous immerge dans le quotidien de trois femmes prolétaires, Ada, Fabiola et Carolanne toutes les trois amies d’enfance. L’une est employée de fast-food et en charge de la fille de sa sœur toxicomane, mais c’est aussi une chanteuse passionnée ; l’autre, fille d’une prostituée alcoolique essaye non sans échecs de surmonter ses crises de rages auprès d’une psychologue assignée ; et la dernière, issue d’une famille dont le père est le tortionnaire en chef nous est présentée au début de la série comme lourdement traumatisée depuis peu, presque mutique. Intéressant mais pas réjouissant pensez-vous peut-être ? Au contraire, la série est une comédie et en mérite définitivement le titre.
Sans le misérabilisme d’un paysage prolétaire dépeint par des bourgeois auquel nous sommes habitués.ées ; cette série est aussi drôle que réaliste. Pourtant il s’agira en vrac de violences sexuelles, d’alcoolisme, d’avortement, de précarité, racisme, violence conjugale, et de prison, pour ne citer que quelques exemples de la richesse politique de la série. Tous ces sujets sont abordés avec une justesse qui semble naturelle, mais à travers le prisme de ce trio amical féminin, qui doit avoir entre 20 et 25 ans. Là où l’humour trouve un espace, c’est dans leur amitié et leur résistance. Aucune, à aucun moment des trois saisons de la série (qui est achevée), ne subi passivement sa condition. Toutes sont en mouvement, d’avant en arrière puis à nouveau en avant jusqu’à l’épisode final.
La justesse de cette représentation télévisée de notre classe sociale a forcément une base matérielle, car non seulement nous sommes représentées, mais surtout la série ne quitte à aucun moment notre point de vu. La base qui explique cette exception bienvenue, c’est au moins en partie l’origine de classe des actrices et de la productrice. Mélissa Bédard qui joue Fabiola, est née dans la semi colonie de Haïti et devient vite orpheline ; elle a été révélée au Québec par sa participation à la Star académie ; Florence Longpré qui est co-créatrice de la série et joue Ada est une ancienne aide à domicile pour personnes âgées.
Les séries comme Good girls de Jenna Bans ou la fameuse série Girls de Lena Dunham ne se servent de la condition de classe que comme d’un élément scénaristique. Par exemple dans Good girls, Ruby et Annie sont prolétaires, et cela justifie qu’elles aient assez besoin d’argent pour suivre la bourgeoise en manque de frisson (Beth) dans son projet de braquage. Pour autant, on ne les voit que chez Beth, à boire du vin blanc de dix heure à midi autour d’un plan de travail en marbre, et les plans supposés illustrer leurs vies sont pathétiques, et uniquement pathétiques. L’autre versant de cette médaille, ce sont les fantasmes idéalisé que nourrie une partie de la bourgeoisie à notre endroit, comme dans Unbreakable Kimmy Schmidt de Tina Fey où la précarité est tellement mal illustrée qu’elle nous ferait presqu’envie. Vous me direz « ce n’est pas le propos », et bien dans « M’entends-tu » non plus, ce n’est pas le sujet. Mais mettre en scène des prolétaires dans des décors et environnements petit-bourgeois est une des façons par laquelle la superstructure capitaliste tente de liquider la lutte des classes.
C’est à déplorer, car nous sommes nombreuses à nous jeter sur ces séries en espérant trouver des femmes comme nous, avec des problèmes de femme. Finalement on ne trouve que des femmes différentes, avec des solutions de bourgeoises. Or entre la classe et le genre, la classe reste la contradiction principale. En suivant ce principe scientifique, la série devient consistante et se place avec Malcolm in the Middle, au rang des séries à caractère prolétaire réussies.
Les deux premières saisons de la série sont disponibles sur Netflix, et la dernière sur papadustream.bz. |