Une semaine après l’annonce de suspension de la réforme du corps électoral, suivant la dissolution de l’Assemblée nationale, l’État espère enfin conjurer la crise en Kanaky (Nouvelle-Calédonie). Ce 17 juin, l’aéroport international de Nouméa rouvre après un mois de fermeture, bloqué par les indépendantistes kanaks, puis filtré par les autorités, depuis le 14 mai ; le même jour, l’État décale le couvre-feu sur place qui s’impose désormais à 20h au lieu de 18h ; c’est aussi la rentrée des classes après un mois de fermeture des écoles.
Le bilan des émeutes depuis le 13 mai dernier est très lourd : Neuf personnes ont été tuées et des centaines d’autres blessées, 200 maisons incendiées ou pillées et près de 900 entreprises et commerces mis hors d’activité. Une première estimation chiffre le « préjudice » à 1,5 milliard d’euros de dégâts. Plus de 3 000 militaires, gendarmes et policiers y ont été déployés par l’État colonial. Grande victoire pour le peuple kanak : des centaines de familles françaises ont pris la décision de faire leurs valises et de quitter définitivement la colonie.
Les récentes élections « européennes », dimanche 9 juin, illustrent d’autant plus la défiance vis-à-vis de l’impérialisme français et de son projet européen : 87 % d’abstention sur l’archipel. Comptant les votes blancs et nuls, le taux de suffrages exprimés s’élève à seulement à 8,6 % du total des inscrits, les colons plaçant en tête le parti macroniste, puis les fascistes du RN et Reconquête.
La flamme de la révolte n’est pas éteinte, alors que l’État envisage la tutelle
Ce mercredi 19 juin, la situation n’est pas revenue à la normale. Des territoires sont toujours hors de contrôle des autorités et de nombreux barrages sont toujours en place. L’opposition entre les milices françaises et forces coloniales d’une part et insurgés kanaks d’autre part, n’est pas terminée. La presse bourgeoise s’en inquiète, comme le relève le Figaro ce lundi « Aussitôt enlevées par les véhicules blindés des gendarmes (Centaure et VBRG) qui sont la cible de tirs d’armes de gros calibre et de carabines de chasse, ces barricades sont remontées pour gêner ou bloquer totalement la circulation. Preuve que les actions violentes n’ont pas cessé, trois agents de sécurité ont été blessés par balle alors qu’ils sécurisaient un centre commercial au Mont-Dore, commune limitrophe de Nouméa, dans la soirée de vendredi. ».
La révolte du peuple Kanak est principalement coordonnée par la CCAT (Cellule de coordination des actions sur le terrain), plateforme indépendantiste lancée en 2023 par plusieurs syndicats et partis, dont l’Union calédonienne (membre du FLNKS), le Parti Travailliste et l’USTKE (l’Union syndicale des travailleurs kanak et exploités). Au sein du mouvement indépendantiste, il existe une lutte qui se cristallise ici entre la CCAT, visée par l’État impérialiste français, et la direction du gouvernement local, dirigé par le parti Palika (également membre du FLNKS). Cette lutte anime ainsi les appels à plus de radicalité ou à la « pacification » de part et d’autre. Très tôt pourtant, la jeunesse kanak a largement assumé de déborder les barrages, d’attaquer les commerces et maisons de colons, de mettre en place des groupes d’autodéfense et parfois de s’armer face aux milices, puis aux troupes de l’État français.
Ce vendredi, Yannick Slamet, membre du gouvernement local chargé de la santé et des comptes sociaux, déclarait que « Nous n’avons plus les moyens d’assumer le fonctionnement de la Nouvelle-Calédonie au moment où je vous parle, compte tenu des pertes fiscales et des cotisations sociales. » Une telle situation pourrait alors ouvrir un boulevard à l’État français pour une mise sous tutelle du territoire, comme l’a demandé récemment la Fédération des industries de Nouvelle-Calédonie (FINC). Cela permettrait non seulement à l’État de reprendre en main la filière de nickel sur l’archipel, régulièrement bloquée par des grèves ou barrages, mais aussi par le rejet récent du « pacte nickel » par les autorités indépendantistes, prévoyant une gestion de la filière plus directe par l’État impérialiste français.
Report du congrès annuel du FLNKS et nouvelles arrestations
Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), qui devait être réuni pour son 43e congrès samedi dernier, a dû reporter l’événement pour mieux anticiper les débats, tant la défiance interne est grande entre une ligne institutionnelle à bout de souffle et la place grandissante de la CCAT sur la mobilisation des kanaks à la base.
Ce mercredi 19 juin, alors que la CCAT devait tenir une conférence de presse sur la situation et les échéances à venir, l’État impérialiste français a procédé à l’arrestation de neuf activistes kanaks, dont Christian Tein, dirigeant de la CCAT. Deux autres activistes ont été arrêtées par la suite. L’État les accuse de participation à des activités de « criminalité organisée » après l’ouverture d’une enquête par le parquet le 17 mai pour association de malfaiteurs, visant « des commanditaires » présumés des émeutes, dont « certains membres de la CCAT ». La CCAT, qui dénonce des arrestations abusives, rappelle aussi que ses militants étaient préparés à cette éventualité et que « cela fait partie de l’engagement de chacun d’entre nous ».