Cet article a été rédigé avant l’annonce de dissolution de l’Assemblée nationale, ce dimanche 9 juin, qui suspend ou supprime les travaux parlementaires en cours.
Ce mois de juin, traditionnel « mois des fiertés » pour les collectifs LGBTI1, se joue cette année en parallèle d’une bataille politique d’un nouveau type. Une proposition de loi de sénateurs LR est en cours de discussion au parlement, visant à interdire la transition des mineurs2. La proposition, votée par le Sénat le 28 mai, est issue d’un rapport parlementaire biaisé, qui repose sur les déclarations de la psychologue Céline Masson et de la pédopsychiatre Caroline Eliacheff, réactionnaires rémunérées sur les fonds publics du groupe LR du Sénat. Nul part le rapport ne mentionne de retour d’expérience de personnes ou collectifs trans, ni d’ailleurs de personnel médical. Cette proposition de loi est directement inspirée de législations récentes visant à criminaliser les personnes transgenres et réprimer toute forme de transition aux États-Unis.
Ce qui se joue derrière cette proposition de loi, c’est au fond l’expression d’une lutte interne à la classe dirigeante française, autour de ce qu’elle aime appeler les « questions de société », qui accompagne la restructuration réactionnaire de l’État (récemment la « Constitutionnalisation de l’IVG », le projet de loi sur la « fin de vie », etc.). Ces réformes sont, pour la bourgeoisie, une tentative de renouvellement de son hégémonie – de sa capacité de direction – qu’elle a perdu sur une grande partie des masses. Depuis l’ouverture de « l’ère Macron », la bourgeoisie tente d’inventer des formes de luttes politiques pour faire vivre la démocratie en dehors du système bipartiste. C’est déjà ce à quoi nous avait préparé Hollande pendant la dernière fausse alternance : l’adoption du mariage homosexuel avait ainsi été la dernière grande bataille politique du bipartisme « gauche/droite », notamment pour mieux préparer des mesures réactionnaires, comme la Loi travail, l’État d’urgence permanent, la tentative de constitutionnaliser la déchéance de nationalité, etc.
Comment la « riposte trans » rebat les cartes
Les trahisons répétées de la « Fédération LGBTI+ » et de ses organisations membres – ensemble légaliste et pacifiste petit-bourgeois refusant toute politique de classe – ont le mérite d’avoir vu naître toute une nébuleuse de nouveaux collectifs s’inscrivant dans les luttes sociales de ces dernières années. Ici, le projet de loi LR sur la transition des mineurs a vu une opposition conséquente dans la rue, non seulement de collectifs trans et LGBTI, mais aussi de syndicats (notamment CGT, FSU et SUD – une première, surtout en si peu de temps).
Trois journées de lutte ont ainsi mobilisées plusieurs milliers de personnes dans une cinquantaine de villes les 15, 17 et 26 mai. À Lille, la permanence de LR a même été attaquée et dégradée par les manifestants. Au sein de ce mouvement, on retrouve notamment l’Organisation de Solidarité Trans (OST), structurée nationalement depuis octobre 2023. En rupture avec les positionnements purement « identitaires » et d’entre-sois d’un côté, légaliste petit-bourgeois de l’autre, l’OST participe aux luttes de l’ensemble des masses opprimées et exploitées, contre la réactionnarisation, notamment auprès de syndicats, ou dans les récentes manifestations anti-impérialistes de solidarité avec les peuples palestiniens et kanaks.
La récente offensive anti-trans est une attaque supplémentaire contre les exploités et s’inscrit plus largement dans une offensive patriarcale d’envergure, comme partie intégrante de la réactionnarisation. Les femmes prolétaires sont rendues toujours plus dépendantes des hommes ou de l’État, en parallèle de l’exploitation croissante de toute notre classe. Ici, les attaques réactionnaires visant les LGBTI sont un aspect de cette offensive patriarcale bourgeoise, qui vise à renforcer l’idée que femmes et hommes sont naturellement opposés et que la « nature féminine » serait intrinsèquement « déficiente » et « inférieure » à celle de l’homme.
1Lesbiennes (femmes homosexuelles), gays (homme homosexuels), bisexuels, transgenres (personnes qui opèrent une transition – sociale/médicale/civile – pour changer de genre/sexe : homme vers femmes ou femme vers homme), intersexes (personnes nées avec des caractères sexuels – génitaux, hormonaux, gonadiques ou chromosomiques – qui ne correspondent pas aux standards médicaux ou sociaux d’un corps masculin ou féminin).
2S’appuyant sur une fausse idée « d’épidémie de transition », le texte s’appuie sur trois piliers : 1) interdire tout acte de transition médical, notamment bloqueurs de puberté et hormones, qui ne sont pourtant pas irréversibles ; 2) la pénalisation des praticiens ; 3) le traitement en pédopsychiatrie de la « dysphorie de genre », alors que les spécialistes et le consensus médical s’accordent sur le fait que la dysphorie ne se « traite » que par l’accès à la transition, première mesure pour améliorer la santé et la condition des personnes trans.